[#3] Entretien avec Pierre Morel-A-L’Huissier – Réforme territoriale : « Où veut-on aller ? Nous sommes dans l’approximation permanente. »

Réforme territoriale de François Hollande :

« Où veut-on aller ? Nous sommes dans l’approximation permanente. »

Interview Pierre Morel-A-L’Huissier

Député de la Lorèze, Maire de Fournels, Conseiller général du Canton de Fournels, Président de Communauté de communes des Hautes-Terres

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  1. François Hollande a tenu à faire de la réorganisation de l’aménagement territoriale une priorité, à la fois par une fusion des régions dans un premier projet de loi présenté dès cet été et par un renforcement des compétences des régions dans un second projet de loi présenté en automne. Question très simple : que pensez-vous de cette réforme ?

J’émets tout d’abord une grande réserve sur les capacités de François Hollande à accomplir une réforme de fond.

Pour en venir à la réforme territoriale proprement dite, je considère qu’il eût fallu analyser la réalité actuelle des communes, des intercommunalités, des départements, des régions avant d’aborder la fusion des régions ou de modifier les échelons territoriaux. Cette analyse aurait dû être menée en toute liberté, sans tabou, afin de mettre en lumière l’ensemble des structures parasitaires de l’organisation territoriale de notre pays : les syndicats, les ententes, les organisations de pays etc… qui complexifient le paysage administratif français.

Corrélativement, il eut été nécessaire de s’interroger sur la clause de compétences : quelle collectivité pour quelle compétence ? Quelle collectivité doit avoir des compétences spécialisées ?

Enfin, toute réforme aurait également nécessité un débat sur la fiscalité locale et les dotations de solidarité.

Concernant maintenant la fusion. On constate un certain nombre de fusions forcées. Pourquoi ne pas avoir songé à des solutions incitatives car certaines sont dans une situation de fusion volontaire ? Cinq, au moins, auraient été concernées par ce cas de figure.

En résumé, je suis étonné par les objectifs ou plutôt par le manque de clarté des objectifs. Cherche-t-on à faire des économies ? À réduire le mille-feuille administratif ? À faire émerger une régionalisation voire une fédéralisation ? Bref où veut-on aller ? Nous sommes dans l’approximation permanente.

2. La fusion des régions dévoilée le 2 juin dernier vous semble-t-elle juste au niveau :

  • Economique;
  • Géographique – du point de vue de la taille des territoires ?;
  • Historique et culturel.

La nouvelle carte des régions constitue une ineptie car aucune étude d’impact préalable n’a été commanditée ni même envisagée.Son principal défaut réside dans la fusion de grands blocs régionaux d’un seul tenant sans tenir compte d’un découpage plus fin. On agit en quelque sorte à la dynamite là où nous aurions dû utiliser le scalpel.

Prenons l’exemple de la Région Languedoc-Roussillon : le Gard pourrait tout à fait être rattaché à la Région PACA tandis que l’Aude et les Pyrénées orientales, auraient pu être fusionnés avec la région Midi-Pyrénées. Fusionner le bloc Languedoc-Roussillon au bloc Midi-Pyrénées relève de l’arbitraire, d’un arbitraire politique.

Et par ailleurs, pourquoi 14 régions et pas 12 ou 15 ou 16 ? Pourquoi s’autolimiter à 14 ?

Enfin, nous avons des institutions, comme le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, anciennement Commissariat au plan, que le Gouvernement aurait dû consulter. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?

3. Une fusion des régions permet-elle de faire des économies ? La fusion des régions envisagée par le Gouvernement sera-t-elle source d’économies ?

Je n’y crois pas un seul instant. Nous irons vers une dérive du fonctionnement des collectivités régionales tant au niveau des élus que des fonctionnaires : frais de déplacement, indemnités, voitures de fonction, deux hôtels de région…

Par ailleurs, nous aurons à craindre des conflits au sein d’un même territoire : conflits entre les universités, entre les grandes métropoles. Ce sera une gabegie.

4. En 1969, le Général de Gaulle avait consulté le peuple sur la réforme du Sénat et la régionalisation. Aujourd’hui, alors même que le Gouvernement propose de fusionner les régions, d’accorder de nouvelles compétences aux Régions et éventuellement de supprimer les départements, aucun référendum n’est actuellement prévu. Pensez-vous que cette décision soit logique ? Un référendum vous paraît-il nécessaire ?

Oui il aurait été nécessaire sous la forme de plusieurs questions :

– Estimez-vous que le mille-feuille administratif français est pertinent ?

– Quel échelon pose aujourd’hui problème ?

– Les régions devraient-elles avoir telle ou telle compétence ?

D’un point de vue plus global, le système du référendum donnerait du dynamisme à la démocratie française au moment où le peuple ne se sent plus acteur de la politique, ne se sent plus en prise avec les décisions prises par les responsables politiques.

5. Quels seraient les aménagements les plus urgents à opérer dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler le mille-feuille administratif français ?

On ne peut pas faire d’économie avec 36000 communes dont près de 50% ont moins de 400 habitants. Il faut supprimer les communes de 400 habitants et renforcer l’intercommunalité. C’est un député maire d’une commune de 400 habitants qui le dit.

6. Faut-il supprimer les départements ?

Il faudrait envisager une meilleure cohérence des relations entre intercommunalité, département et régions. Le département entre région et intercommunalité a aujourd’hui un souci de lisibilité. Le Conseil général n’a pas de poids dans les grandes métropoles et il existe une confusion entre ce que fait le Président de l’intercommunalité et le Président départemental.

7. L’extension de l’intercommunalité est-elle la solution à l’enchevêtrement des territoires et des compétences ?

Oui, l’intercommunalité est une très bonne chose mais il faut s’interroger sur la nature juridique : établissement public de coopération, véritable institution ou collectivité territoriale…

8. Balzac dans le Cabinet des Antiques déclarait : « Dès qu’un négociant a sa fortune faite, il ne pense qu’à la porter dans Paris qui devient ainsi toute la France. Ce malheur n’existe ni en Italie, ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni dans les Pays-Bas, où dix villes capitales offrent des centres d’activités différentes, tous remarquables par leurs mœurs, leurs attraits spéciaux. » Cette caractérisation des rapports entre Paris et la Province, au 19ème siècle, vous paraît-elle encore justifiée après les efforts accomplis au 20ème siècle pour la décentralisation ? Question corrélative : l’omniprésence de Paris (au niveau symbolique, politique, institutionnel, économique), représente un atout ou une contrainte pour la France ?

Nous ne savons pas encore que la France est devenue un pays décentralisé. Mais la décentralisation française présente deux défauts :

Paris et les institutionnels de Paris n’ont jamais accepté la décentralisation ;

– Les élus, eux-mêmes purs produits de la décentralisation, passent leur temps à quémander des ressources à l’État.

Éléments descendants et ascendants qui font de Paris la capitale administrative de la France.

9. Toutefois, contrairement à l’Allemagne, en raison de causes géographiques, géostratégiques, sociales, historiques, la France a dû développer une forte centralisation. Dans ces conditions peut-on vraiment faire de l’Allemagne un modèle pour la France ? Autrement dit, les régions françaises peuvent-elles et doivent-elles devenir des sortes de Länders allemands ouvrant la voie à une forme de fédéralisation qui ne correspond pourtant pas à l’histoire de la nation française ?

Je ne suis pas hostile à un début de fédéralisation qui permettrait d’avoir des adaptations des normes. Je considère que l’État joue de moins en moins son rôle. Aujourd’hui, adapter notre modèle ne peut être que bénéfique.

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