En cette période de Yom Kippour, je souhaite une bonne fête à tous les Juifs de France. En cela, je ne porte pas atteinte à la laïcité. Au contraire, je consacre la laïcité en exprimant publiquement un respect pour une croyance religieuse, sans que celle-ci n’affecte l’espace public.

Plus d’un siècle après la loi de 1905, la laïcité cristallise encore les passions. Il s’agit pourtant de l’un des principes fondateurs de notre République dont la remise en cause est aujourd’hui préoccupante. Sous prétexte de la contourner ou de la promouvoir, chacun y va de son interprétation, qu’il transforme en conviction, voire en croyance. Alors que la laïcité a été l’un des piliers d’une République affirmée et apaisée, elle est désormais pomme de discorde et source de fissures entre nous. D’une solution pérenne pour notre société, certains veulent aujourd’hui ériger la laïcité en problème insoluble.

Certes, les liens entre le peuple, les religions et l’État sont par nature complexes. Trois attitudes sont possibles : nier ces difficultés en espérant que le temps fera son œuvre ; prospérer sur ces difficultés avec des intentions condamnables, qu’elles soient électoralistes ou religieuses ; regarder les problèmes en face pour apporter des solutions efficaces. J’ai choisi cette dernière attitude.

La laïcité, c’est avant tout la neutralité de l’État envers toutes les religions, puisque celui-ci ne reconnaît aucun culte. Il s’agit d’une obligation qui s’impose à la puissance publique, et qui conduit à l’interdiction de signes religieux chez les agents publics ou à l’interdiction de financement public des lieux de cultes.

Mais la neutralité ne signifie pas l’hostilité. Ce serait un contresens absolu. La laïcité, c’est le refus de l’assujettissement du politique au religieux, et réciproquement. Elle reconnaît le pluralisme religieux. La neutralité ne signifie pas non plus l’indifférence. L’État a toute la légitimité pour dialoguer avec les cultes. En particulier en poursuivant l’objectif inébranlable de faire primer l’État et ses lois.

Cette logique a conduit à la création du Consistoire israélite de France en 1808 par Napoléon. C’est également ce qui a motivé la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui est l’association de communautés sur le modèle du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) plus qu’un organe représentatif de la religion musulmane en France. L’émergence d’une association musulmane pour un Islam de France et d’un grand Imam comme il existe un grand Rabbin, est une étape supplémentaire nécessaire pour qu’un dialogue exigeant puisse se nouer entre l’Etat et un islam français qui reste largement à construire. Ces propositions, développées utilement dans un rapport récent et sans concessions de l’Institut Montaigne, devront être portées par le prochain président de la République. De même que devra être menée la lutte implacable contre l’utilisation de la religion à des fins politiques (salafisme) ou terroristes (djihadisme).

La laïcité n’est pas une paroi étanche entre la puissance publique et les religions, y compris dans leur dimension culturelle. Souhaiter joyeuses Pâques aux chrétiens ou un bon Aïd El Kebir aux musulmans de France n’est pas communautariste, puisqu’il s’agit précisément d’établir un dialogue et briser l’entre soi. Rien de choquant non plus à ce que, dans notre pays de tradition chrétienne, certaines mairies conservent l’habitude d’installer des crèches pour Noël. Le vade-mecum sur la laïcité publié l’année dernière par l’association des maires de France présidée par François Baroin était tout à fait excessif, considérant ces crèches incompatibles avec la laïcité.

Aucune atteinte non plus à la laïcité quand les cantines scolaires cherchent à composer des menus suffisamment variés pour s’adapter au plus grand nombre des élèves, quelle que soit leur confession religieuse. Il n’est pas question de proposer des repas « hallal » ou « casher » dans les établissements publics, mais la généralisation de menus de substitution, par exemple, est une approche pragmatique. A l’inverse, vouloir interdire tout menu de substitution, au nom de la laïcité, comme le proposent certains à droite ou à l’extrême droite, c’est faire le jeu du communautarisme, en incitant finalement les petits musulmans à manger avec les petits musulmans, les petits juifs avec les petits juifs et les petits chrétiens avec les petits chrétiens.

S’agissant, enfin, des vêtements, j’appelle à cesser ce concours Lépine des interdictions, sous peine de fragiliser notre droit et d’attiser les tensions, déjà si vives. S’il est légitime et souhaitable que des enfants, mineurs, en situation d’apprentissage et de construction de leur esprit critique, n’arborent pas des signes religieux ostensibles à l’école publique, cela ne saurait justifier une interdiction de ces mêmes signes à l’université, où les étudiants sont des individus majeurs et libres de leurs actes. De même, si l’interdiction de la burqa était une nécessité aussi bien pour des motivations morales que d’ordre public (qui ont d’ailleurs peu à voir avec la question de la laïcité), et son application devra être beaucoup plus stricte à l’avenir, la généralisation de l’interdiction des signes religieux dans l’espace public, proposée par certains candidats à la primaire, serait contre-productive, incompréhensible et, je l’affirme, inconstitutionnelle.

Il est nécessaire d’appeler les croyants, et notamment les musulmans, à éviter les tenues ou les comportements ostentatoires. Il est même légitime de les appeler à une certaine mesure, (terme que je préfère à la « discrétion » prônée par Jean-Pierre Chevènement), dans l’expression de leurs convictions religieuses afin de favoriser l’intégration et l’hospitalité, conditions réciproques du vivre ensemble. Mais il ne saurait revenir à la loi de fixer des règles vestimentaires de l’espace public, dès lors que l’ordre public est respecté.

Il y a plus d’un siècle, Aristide Briand résumait déjà parfaitement ces enjeux : « le silence du projet de loi [de 1905] au sujet du costume ecclésiastique […] est mûrement réfléchi. […] ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes de modifier la coupe de leurs vêtements. […] La soutane une fois supprimée si l’église y trouvait son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen ».

De grâce, ne tombons pas en 2016 dans les pièges que nos prédécesseurs ont sus si habilement éviter en 1905.