Je ne suis pas hostile par principe à Emmanuel Macron. J’ai été l’un des rares à droite à défendre la loi qu’il a portée en 2015. Elle comportait quelques avancées microéconomiques intéressantes (faciliter le transport par autocar, libéraliser les professions réglementées, réduire les délais pour le permis de conduire,…), bien que largement insuffisantes à l’échelle des difficultés et des blocages que rencontre notre pays.

Mais l’espoir qu’a pu susciter Emmanuel Macron, y compris à droite, est largement déçu par son entrée en campagne électorale, mélange de communication à outrance et de discours généraux et le plus souvent creux, pour éviter toute forme de contradiction. Il est en quelque sorte le fils spirituel de Jacques Séguéla, en soignant avant tout la forme, le storytelling et les couvertures de Paris Match, et du Cardinal de Retz, pour qui « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ».

En restant dans les généralités et les abstractions, au motif de vouloir élever le débat et de parler à l’intelligence des électeurs, Emmanuel Macron évite surtout d’atterrir sur des propositions concrètes et précises, pour limiter les angles d’attaques de ses concurrents. C’est pourtant toute la noblesse de la politique que de partir d’une analyse générale pour en décliner des propositions particulières, que d’articuler en permanence l’abstrait et le concret. Un responsable politique doit tout à la fois être philosophe et ingénieur.

Cette confusion complète de la fin et des moyens est symptomatique de notre époque, gagnée par le matérialisme, l’utilitarisme voire le nihilisme.

Le site Internet de son mouvement En Marche est à ce titre emblématique : aucune rubrique consacrée au projet ou au programme, mais beaucoup de témoignages, de comités, d’organisation,… On est donc appelé à marcher, sans savoir précisément dans quelle direction. Cette confusion complète de la fin et des moyens est symptomatique de notre époque, gagnée par le matérialisme, l’utilitarisme voire le nihilisme. L’honnêteté oblige toutefois à reconnaître qu’Emmanuel Macron n’est pas resté totalement silencieux sur son projet, notamment à l’occasion de ses interventions médiatiques et de ses meetings. Mais ses seules propositions concrètes demeurent très imprécises, comme le basculement des cotisations salariales chômage et maladie sur la CSG (dont on a du mal à savoir par exemple si les fonctionnaires en seront contributeurs ou bénéficiaires) ou la liberté de partir à la retraite selon son choix (ce qui évite de poser la question du financement générale du système). Sur la question des 35h, il s’est contredit en quelques jours, indiquant dans un premier temps que la durée légale du travail pouvait varier selon l’âge puis dans un second temps que cette durée légale devait rester fixée à 35h.

Par ailleurs, le renouveau de la classe politique qu’il est censé porter est sans doute l’idée la plus ancienne de la Vème République : Jean Lecanuet, Michel Noir, François Bayrou,… Tous ont essayé de jouer cette partition, à équidistance entre la droite et la gauche, avec le résultat que l’on connaît. Surtout, c’est l’opposition radicale qu’il exprime à chacun de ses discours entre les « progressistes » et les « conservateurs » qui est la plus choquante et la plus en décalage avec ce que ressentent une grande partie de nos concitoyens. Quel est ce monde, rêvé par Emmanuel Macron, qu’il s’agirait uniquement de transformer et jamais de conserver ? En quoi serait-il paradoxal d’être libéral et conservateur, c’est-à-dire d’être à la fois attaché à l’ordre et à la liberté ? Comme si on ne pouvait pas rechercher une amélioration du niveau de vie des Français, tout en essayant de garantir et de conserver leur mode de vie.

Ceux qui voient là des contradictions sont des idéologues dogmatiques coupés des réalités. Ils ont l’esprit de système et préfèreront toujours faire primer leur modèle sur le réel. Tels le Dernier Homme nietzschéen, ils manquent singulièrement d’humilité et de respect envers les générations passées qui ont construit progressivement la société que nous connaissons. Ils font preuve d’arrogance en considérant que le passé n’est qu’un simple brouillon dont il conviendrait de faire table rase. En cela, le progressisme est un avatar branché du marxisme, qui poursuit l’objectif déraisonnable de l’« Homme nouveau ».

Que signifie la célébration du progressisme et la critique du conservatisme en matière d’environnement, domaine où la nécessité de la préservation apparaît avec la force de l’évidence ? En matière d’éducation, où les dégâts du progressisme et de son avatar pédagogiste sont d’ores et déjà patents ? En matière de procréation, à l’heure où la gestation pour autrui se développe, constituant une insupportable marchandisation du corps des femmes et une rupture anthropologique majeure ? En matière d’identité, où nous découvrons chaque jour les limites du multiculturalisme et la nécessité des frontières ? En matière de construction européenne, où l’urgence est plus que jamais au respect du principe de subsidiarité plutôt qu’à l’avènement d’un fédéralisme hors sol ? En matière d’organisation du territoire, où le détachement progressif des métropoles des zones rurales et périurbaines, encouragé par la mondialisation, fait peser un risque majeur sur la cohésion nationale ?

Derrière le sympathique terme de « progressisme », Emmanuel Macron cache en fait une vision de la société qui a de quoi faire frémir et qu’il refuse d’assumer pleinement.

Il est le candidat de l’ubérisation, c’est-à-dire de la rupture majeure avec les systèmes existants. Ubérisation de l’économie, avec la célébration privilégiée des start-ups ; ubérisation des territoires, avec l’émancipation des métropoles ; ubérisation des questions de société, avec une tentation transhumaniste par opposition à toute forme d’organisation traditionnelle ; ubérisation de l’identité nationale, en reprenant l’approche de Terra Nova (et du parti démocrate américain) d’une coalition des différentes minorités ; ubérisation de la politique, en refusant de jouer le jeu des partis et des primaires.

Emmanuel Macron se veut ainsi le candidat des nouveaux insiders, de ceux qui naviguent à l’aise dans la mondialisation et se sentent de plus en plus à l’étroit dans le cadre national. Il préfère surfer sur cette France « qui marche » plutôt que de s’adresser aussi à ceux qui restent à l’écart de ce grand mouvement de transformation. Pas de réelle place chez lui pour évoquer les menaces dont sont l’objet la famille, l’identité française, la souveraineté nationale, la ruralité ou encore l’industrie. Cette impasse est d’autant plus dommageable que la défense de ces valeurs, dites traditionnelles, permettrait de rapprocher et de raccorder la France qui marche et celle qui doute et qui souffre.

Les Français, j’en suis convaincu, ne souhaiteront pas s’aventurer dans cette voie qui leur ferait perdre tous leurs repères et les plongerait ainsi dans une insécurité économique, culturelle et anthropologique. Ils refuseront ce « Meilleur des Mondes » qu’on leur promet et auront la sagesse de croire que tout n’est pas à jeter dans le monde dont ils ont hérité. C’est ce qui fait la force, à l’inverse, du projet porté par François Fillon. Un projet réformateur, libérateur pour notre économie, mais aussi un projet protecteur, rassurant pour notre société. Réformer ce qu’il faut, mais conserver ce qui vaut. Affronter le vent du large, mais connaître ses ancrages. L’exploit réalisé par Thomas Coville, en battant le record du tour du monde en solitaire à la voile et en éprouvant le plaisir immense de revenir à son port d’attache, est une parfaite illustration de la pertinence et de la fécondité de cette vision politique.