[#1] La gestation pour autrui ou le développement de la fabrication d’enfants

GPARécemment est revenu au cœur de l’actualité un sujet qui pour beaucoup n’avait pas lieu d’être évoqué : celui de la Gestation Pour Autrui, connue sous le vocable « GPA » ou « mères porteuses ». Pour mémoire, cette pratique consiste à inséminer artificiellement, avec le sperme d’un homme et éventuellement don d’ovocyte, une femme qui mène à bien la grossesse et abandonne l’enfant à la naissance pour le remettre à un couple. Cette pratique est fermement condamnée en France, au nom de l’indisponibilité de l’état des personnes. Les associations mettant en relation des mères porteuses et des couples demandeurs ont été dissoutes pour illicéité de leur objet.

L’Etat, nous le comprenons bien, dans son rôle premier ne doit pas  intervenir dans la sphère privée de la conception. Cela parait raisonnable tant que le mode de conception de l’enfant reste du domaine de l’intime, or aujourd’hui la médecine permet de concevoir un enfant en laboratoire et avec intervention d’un tiers au couple. Cela a donc obligé le législateur et la jurisprudence à se pencher sur un certain nombre de questions éthiques et à prendre position  pour déterminer des cadres et des interdits. Mais ce que détermine un Etat n’est pas valable dans un autre. Cela va poser problème quand on va demander à l’Etat français de donner des conséquences à une gestation pour autrui  pourtant prohibée par la loi française.

En effet, si la GPA n’est pas autorisée en France, il est tout à fait possible grâce au développement des facilités de communication ainsi qu’à l’essor d’internet, de commander un enfant fabriqué dans un pays où la GPA est légale. En pratique, les couples se tournent majoritairement vers certains états des Etats Unis (Minnesota, Californie) ou vers l’Inde.  La question s’est alors posée aux juges de savoir s’ils devaient prononcer l’adoption d’un enfant né à la suite d’un tel contrat, car pour ces enfants, seule la filiation paternelle pouvait être établie. Dans des arrêts d’Assemblée plénière très célèbres, le 31 mai 1991, la Cour de Cassation refusa une telle adoption par la mère.  La Cour a jugé que « cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère et que, portant atteinte au principe d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constitue un détournement de l’institution de l’adoption. »  L’Etat ne put donc pas se contenter de l’intervention du juge, il dut légiférer sur cette question lors des lois de bioéthique de 1994 en l’article 16-7 et 16-9 du Code Civil qui affirme que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cela vise les conventions gratuites ou onéreuses, ainsi que la procréation et la gestation pour compte d’autrui.

Le juge fut, quelques années plus tard, aussi sollicité pour obtenir la transcription sur  les registres d’Etat Civil français des actes de naissance rédigés à l’étranger d’enfants ayant fait  l’objet d’un contrat de GPA. Il s’agissait  bien alors de faire  reconnaître par l’Etat français les conséquences d’une GPA à l’étranger. La Cour de Cassation dans trois arrêts de 2011 a clairement réaffirmé « qu’il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel en droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public, aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code Civil. » Nous constatons donc qu’en quelques années nous avons évolué d’un Etat qui ne doit pas intervenir, à l’Etat qui ne doit pas tout laisser faire. Le droit semblait clair, l’opinion publique désapprouvant ces pratiques de commercialisation du corps de la femme et de vente d’enfant, nous aurions pu en rester là.

Mais très curieusement à son arrivée à la chancellerie Madame Taubira a signé le 25 janvier 2013 une circulaire relative à la délivrance des certificats de nationalité française – convention de mères porteuses – Etat civil étranger.

Cette circulaire destinée aux procureurs généraux près des Cours d’Appel, aux procureurs de la république et aux greffiers en chef ordonne qu’il soit fait droit aux demandes de délivrance des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui. Cela permet donc clairement de faire échec à la prohibition de la GPA en France, puisque loin de sanctionner ceux qui ont sciemment et ostensiblement violé la loi, cette circulaire leur permet d’obtenir des droits. Cette circulaire permet de contourner la loi pénale, mais  aussi de faire échec aux dispositions du Code Civil et à la jurisprudence qui en découle. La Cour de Cassation vient de rappeler cette jurisprudence de non transcription dans un arrêt du 19 mars 2014. Arrêt de la CC

Il n’est pas surprenant alors de voir depuis quelques temps des entreprises étrangères de Gestation Pour Autrui venir faire la promotion de leurs activités en toute impunité sur le territoire français. L’association  Les Juristes Pour l’Enfance, dont l’objet social est la défense de l’intérêt de l’enfant a donc, et c’est une première en France, porté plainte contre cette société

–          pour violation de la loi française – la gestation pour autrui est prohibée par la loi et la mise en relation de personnes à cette fin est constitutive du délit d’entremise réprimé par l’article 227-12 du Code Pénal,

–          pour violation du droit fondamental de l’enfant de connaître, dans la mesure du possible, son père et sa mère et d’être éduqué par eux, droit garanti par la Convention Internationale des droits de l’enfant. Or la GPA organise et planifie la violation de ce droit.

Le recours en annulation contre  la Circulaire Taubira n’a pas encore été jugé mais la plainte déposée devant le procureur vient de donner enfin lieu à ouverture d’une enquête judiciaire. Nous comprenons bien que le droit est placé devant une énorme contradiction, celle d’interdire une situation en France mais de permettre la régularisation de ses conséquences.  Ne faudrait- il pas donc pas mieux comme certains le demandent accepter la transcription ou alors légiférer? Dans tous les cas, il n’est pas possible pour l’Etat de se défausser.

La demande de transcription et éventuellement de légalisation de la GPA est faite au nom de l’intérêt de l’enfant. Puisqu’il existe, qu’il n’y est pour rien, et qu’il est fragile, l’Etat doit le protéger. Méfions-nous de cette fausse bonne générosité. Pour ces enfants nés de mères porteuses, il n’y a pas de vide juridique : ils vont à l’école, ont une sécurité sociale, et voyagent librement. A leur majorité, ils peuvent être naturalisés. La conséquence symbolique d’une acceptation de transcription des actes d’état civil serait en revanche essentielle : ce serait admettre comme licite la convention de Gestation Pour Autrui. Et donc permettre le développement d’un marché procréatif, qui lui ne connaîtra jamais de crise. Un marché aisé, aseptisé, luxueux, mais un marché tout de même.

Nous assistons donc pour la première fois depuis les lois bioéthiques à une reprise en main par l’Etat de cette question si intime de la conception. Faut-il, oui ou non, laisser se développer un marché de l’abandon de l’enfant et de la location d’utérus ? De nombreux parlementaires, dont Hervé Mariton, ont pris la parole à l’Assemblée et dans les médias pour s’élever contre la circulaire Taubira et contre ces réunions de sociétés de mères porteuses organisées impunément sur notre sol. Les autorités médicales se sont prononcées contre la pratique de la GPA, les associations de défense de l’enfant au nom de son intérêt supérieur ont réclamé qu’il ne fasse l’objet d’aucun marché et ne soit pas soumis volontairement à une blessure d’abandon. L’état, même libéral, ne doit pas tout permettre : certains marchés doivent être interdits fermement.

Anne-Claude Venot

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