Le quotient familial, une question de philosophie

Est-il juste que, pour un même niveau de vie, un foyer avec enfants paie davantage d’impôt sur le revenu qu’un célibataire ? Telle est la question posée par la récente polémique sur la suppression du quotient familial, qui n’est pas simplement un sujet de politique familiale mais beaucoup un enjeu de politique fiscale. Très directement, supprimer le quotient familial, cela veut dire augmenter l’impôt sur le revenu de 12 milliards d’euros, pour un montant actuel de 80 milliards.

Ce qui serait une évolution – une augmentation – considérable. Cela ne semblait pas être l’orientation principale d’Emmanuel Macron qui, pendant la campagne présidentielle, avait d’ailleurs proposé de revenir sur les deux aggravations violentes du plafonnement du quotient votées sous le mandat de François Hollande (baisse du plafond de la demi-part à 2.000, puis 1.500 euros), pour autant que l’état des finances publiques le permette…

Les classes moyennes en première ligne

L’impôt sur le revenu est très concentré en France. Plus de la moitié des foyers ne le paient pas et cette proportion s’est récemment accrue. 10 % des foyers en acquittent 70 % du montant, 2 % règlent 40 % des recettes, 0,4 % paient 22 %. La suppression du quotient familial aggraverait cette concentration, et cela particulièrement au détriment des classes moyennes supérieures. Celles-ci sont, depuis de nombreuses années, les victimes de l’évolution de la fiscalité, sans profiter de certaines mesures d’allègement de la fiscalité du capital (réforme Sarkozy de l’ISF, transformation de l’ISF en IFI), qui avantagent plutôt les contribuables aux revenus et au patrimoine très élevés.

Les contradicteurs du quotient familial sont d’ailleurs un peu sophistes – ils s’étonnent que les foyers des cinq premiers déciles de revenu fiscal de référence ne perçoivent que moins d’un quart du montant total du quotient familial. C’est écrit dans la conception même d’un dispositif qui n’est ni une prestation familiale, ni une niche fiscale, mais un élément de calcul de l’impôt impactant ceux qui le paient. Cet élément reste consubstantiel à la définition de l’impôt sur le revenu en France.

Oui, le quotient familial a été plusieurs fois plafonné par des gouvernements de gauche, sans que la droite soit jamais capable de le rétablir. Au point qu’un contribuable avisé doit, pour ses enfants majeurs à charge, regarder soigneusement s’il a intérêt à les garder dans son foyer fiscal, en bénéficiant du quotient, ou à déduire directement les frais que leur charge procure…

Impôt calculé par foyer fiscal

Le quotient familial répond à une exigence constitutionnelle (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) qui prévoit que la contribution publique soit établie « en raison » de la capacité contributive. « En raison », au sens historique et mathématique, veut dire en proportion, ce qui devrait limiter les ambitions de progressivité de l’impôt sur le revenu affichées sans relâche par les partisans de la suppression du quotient familial, qui veulent ignorer son degré actuel de concentration et ses effets. C’est ce raisonnement de justice fiscale qui inspirait Alfred Sauvy et amènera à inventer ce mode de calcul de l’impôt. La question fiscale et la politique familiale se rejoignent alors dans leurs conséquences, sans se confondre dans leurs principes.

Enfin, le quotient familial prend sa place dans une logique d’impôt sur le revenu calculé par foyer fiscal. Il s’inscrit à côté du quotient conjugal. Car telle est la conception historique qui prend en compte non pas l’individu mais son foyer (les conjoints, les enfants…). C’est une définition fiscale, c’est aussi une vision de la société qui considère que l’Etat ne connaît pas simplement les personnes, mais reconnaît cette petite société qu’est la famille.

La mise en place du prélèvement à la source abîme cette conception dans le principe, car ce mode de perception de l’impôt remonte à l’origine individuelle du revenu, dans la pratique, puisque la loi de finances permet désormais aux membres d’un couple de choisir de sortir du foyer pour payer individuellement l’impôt. Supprimer le quotient familial poursuivrait cette logique individualiste.

La polémique sur la politique familiale est – provisoirement – close. Reste le débat sur la nature et la philosophie de l’impôt. En France, il est établi qu’il y a trop d’impôts. Faute de les rendre plus légers, il n’est pas heureux de les rendre plus mauvais.