[#1] L’Etat-providence et ses dérives

L’Etat-providence contient en germes le pire et le meilleur.

 

Le pire lorsqu’il s’adresse sans discernement  aussi bien à des personnes conscientes de leurs responsabilités envers la société qu’à des individus ne témoignant d’aucune réelle volonté de se prendre en charge, qui n’aspirent pas à s’intégrer dans la société voire en rejettent les règles et les valeurs. Au-delà des aides et prestations financières directes versées par l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes sociaux (santé, emploi, vieillesse, éducation,…), le concept d’Etat-providence englobe également les soutiens en nature apportés, ici encore sans discernement, aux personnes souffrant de situations conjoncturelles difficiles, hors de tout acte volontaire, et à des individus placés dans des situations de même nature mais de leur fait (en matière de logement par exemple). John Fitzgerald Kennedy déclarait dans son discours d’investiture en 1961: « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ». Il serait heureux que nombre d’entre nous s’approprient ce précepte à l’heure où la crise et l’évolution des mentalités tendent à accroître l’individualisme et une forte propension à l’assistanat.

Pourquoi de telles dérives, un tel dévoiement de l’Etat-providence qui distribue au-delà de toute raison ce qu’il n’a pas, s’engluant un peu plus dans le déficit et la dette publique ?

Parce que certains dirigeants politiques ou qui se prétendent tels s’abandonnent par faiblesse :

–          à la facilité, à la démagogie,  considérant que les bons sentiments, ou ce qui peut apparaître comme de bons sentiments, contribuent à faire une politique. Gouverner c’est prévoir et choisir, c’est avoir la capacité, les compétences, le courage de faire la part des choses entre l’intérêt de chacun, celui du pays et les possibilités de financement qui lui sont propres. Il est plus facile pour la gauche de ponctionner toujours plus le secteur privé et la classe moyenne que de faire des économies là où se trouve son électorat privilégié. C’est oublier que le secteur privé c’est l’essentiel de l’emploi. C’est oublier que la classe moyenne constitue le ciment de la Nation. Ne pas en tenir compte c’est faire le lit des extrêmes en mécontentant la classe ouvrière et la classe moyenne, c’est prendre le risque de conduire à terme à la révolte. Les ménages défavorisés doivent pouvoir conserver l’espoir raisonnable d’évoluer vers la classe moyenne, les ménages de la classe moyenne celui d’évoluer vers les classes plus aisées. Et c’est cette fluidité potentielle, mais qui doit être dans une certaine mesure réelle, qui permet de maintenir un équilibre au sein d’une république apaisée ;

–          à l’opportunisme, aux calculs politiques,  par le jeu des alliances avec un ou plusieurs partis minoritaires contribuant à constituer une majorité de gouvernement. A gauche de l’échiquier, ces partis ont une propension à développer des idées inconsidérément généreuses sinon utopiques. Lorsque le chantage des uns rencontre le manque de courage, de volonté politique des autres, une partie de ces idées finit par imprégner la politique de gouvernement. Ils renforcent en outre l’influence de nombre d’associations para-politiques « bien pensantes » qui gravitent traditionnellement autour d’eux. Autant de groupes de pression auxquels il faudrait savoir résister. Certains dirigeants, par incompétence ou parce qu’ils privilégient le goût du pouvoir au sens des responsabilités, jouent consciemment ou inconsciemment avec le feu, font le jeu de certains de ces groupes dont l’objectif est d’affaiblir l’Etat pour mieux servir leurs intérêts politiques ;

–          au clientélisme,  les heureux bénéficiaires de cette « providence » lui étant reconnaissants de sa bienveillance et nourrissant l’espoir d’en profiter plus encore en maintenant au pouvoir ceux qui apportent tant sans rien demander en échange ou si peu…

L’Etat-providence comporte en germe le meilleur  lorsque l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes sociaux – selon des règles définies par l’Etat – apportent leur soutien aux personnes se trouvant dans des situations qui méritent d’être encouragées (maternité, éducation, formation professionnelle,…), à celles qui ont pris le virage de la vieillesse (retraite, allocation personnalisée d’autonomie,…), ou encore à celles qui rencontrent des difficultés passagères, qui sont confrontées à des accidents de la vie : maladie, handicap, chômage… Encore faut-il dans ce cas que les bénéficiaires témoignent de leur détermination à surmonter les conséquences de leur accident.

La notion d’Etat solidaire serait plus appropriée que celle d’Etat-providence. Derrière la « providence » se cache une « main divine » qui veille aux besoins et au bonheur de ceux auxquels elle s’adresse, simplement parce qu’ils sont là, parce qu’ils existent. Sont sous-jacentes à la notion de solidarité celles d’interdépendance, de réciprocité, de responsabilité commune, absentes de la « providence ». L’idée n’est pas en effet de faire des bénéficiaires des individus passifs !

A l’heure où les dépenses publiques et la dette de l’Etat atteignent des sommets, les aides et prestations ne peuvent être attribuées sans se poser sérieusement la question de la pertinence de la cible, de leurs conséquences en termes de financement et de résultats. L’heure n’est pas à redistribuer ce que l’Etat n’a pas mais à en appeler à la responsabilité de ceux qui dirigent le pays.

Sans entrer ici dans le détail de mesures susceptibles de répondre à cet objectif d’un Etat solidaire, posons simplement quelques principes :

–          il ne revient pas à l’Etat de s’occuper de la vie de chacun en abolissant la responsabilité individuelle des individus  mais d’intervenir à bon escient afin de remédier à certaines situations difficiles ne relevant pas de la volonté de ceux qui en souffrent. Hormis lorsqu’elles sont associées à un statut particulier incompatible avec une quelconque contrepartie (vieillesse, handicap, dépendance…) les aides et prestations doivent par conséquent avoir un caractère contractuel :

  • ainsi un chômeur devrait-il impérativement produire chaque mois les preuves de ses actions en matière de recherche d’emploi – la recherche d’emploi est un travail à temps plein -, fournir la copie de l’ensemble des courriels et courriers adressés, des réponses éventuellement obtenues, communiquer la liste et les résultats de ses contacts,… Force est de constater que cette exigence n’est pas systématiquement mise en œuvre aujourd’hui, loin s’en faut. Un contrôle aléatoire de la réalité des documents fournis devrait être effectué aussi souvent que possible. En outre, l’obligation de ne pas refuser plus de deux « offres raisonnables » sauf à être radié des demandeurs d’emploi devrait être strictement respectée et les conditions de l’ « offre raisonnable » revues dans ses différents critères dans un sens plus incitatif ;
  • ainsi encore, les allocations familiales, qui ont pour vocation de contribuer à la charge que représentent les enfants pour les parents, lesquels se doivent de les éduquer, de veiller à ce qu’ils s’intègrent au mieux dans la société, devraient-elles, à l’instar de ce que prévoyait la loi Ciotti de 2010, être suspendues lorsque que les parents ne font pas le nécessaire pour que les enfants suivent l’école obligatoire sans absentéisme injustifié et répétitif. A en croire ses détracteurs, la loi Ciotti n’avait pas modifié les comportements. Au moins permettait-elle de faire des économies et de sanctionner des parents reculant devant leurs responsabilités. La suspension devrait en outre être encourue lorsqu’ils se désintéressent de leurs enfants au point que ceux-ci se livrent à des actes de délinquance ;

–          l’efficacité de chacune des aides devrait être systématiquement et régulièrement analysée devant le Parlement  à la lumière des moyens mis en œuvre, tant en ce qui concerne leur montant qu’en ce qui concerne le coût des structures ou services qui les délivrent, de façon à adapter le cas échéant le ou les dispositifs concernés à la lumière de cette analyse coût/résultat ;

–          le champ de certaines cotisations devrait être élargi : ainsi de la cotisation chômage qui pourrait être étendue aux fonctionnaires ; que ceux qui bénéficient de la sécurité de l’emploi participent à l’effort de financement du chômage apparaît sur le principe légitime. Cet élargissement de l’assiette permettrait en outre de diminuer dans une certaine mesure le taux de cotisation de façon à en réduire le poids pour chacun ;

–          le règlement des aides affectées devrait être opéré de telle façon qu’elles soient utilisées de façon privilégiée à ce à quoi elles sont destinées  (aide au logement versée systématiquement au bailleur par exemple) ;

–          les aides à caractère individuel (c’est-à-dire sans impact à l’égard d’un éventuel conjoint ou des enfants) devraient être suspendues voire supprimées en cas de crimes et délits  d’une certaine gravité et cela même s’ils n’entraînent pas une condamnation à une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis ;

–          hors urgence médicale vitale ou danger de contagion, toute aide ou prestation sociale devrait être exclue pour les étrangers non communautaires ne disposant pas d’un visa, n’ayant pas engagé les démarches de demande de carte de séjour ou d’asile ou qui se seraient vus refuser cet asile. Dans les cas d’urgence médicale ou de risque de contagion, le remboursement de l’aide ou de la prestation reçue devrait être en toute hypothèse recherché. Des individus qui se placent dès le départ dans l’illégalité ne sont pas légitimes à en appeler à la générosité de l’Etat ! L’aide médicale d’Etat (AME) telle qu’elle est aujourd’hui définie devrait être supprimée.

Il est plus que temps aujourd’hui de mettre fin à un Etat-providence dispendieux pris dans le piège de la démagogie, des calculs politiques, du clientélisme de ses dirigeants. L’heure est à la responsabilité, à la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers de quelques uns pas toujours bien intentionnés. Cela ne signifie pas bien au contraire qu’il faille laisser sur le bord du chemin ceux qui ont servi le pays, ceux qui sont confrontés aux accidents de la vie ou rencontrent des difficultés passagères dont ils entendent bien sortir en se prenant en charge avec un accompagnement adapté de l’Etat, conscients qu’ils sont de leurs devoirs, de leurs responsabilités à l’égard de la société.

André Renault

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