Monsieur le ministre,

La presse s’est récemment fait l’écho de votre souhait de réformer le statut de la fonction publique, dont vous pensez qu’il n’est plus adapté au monde actuel. Ce constat relève du bon sens, pour ne pas dire de l’évidence. Il ne doit pas être posé « en off » dans une enceinte fermée, mais au contraire susciter un débat ouvert. Je vous sais gré de chercher à faire naître ce débat au sein de la gauche, avec, je l’espère, le souci de faire des propositions utiles pour l’avenir de notre pays.

Toutefois, les réactions outragées dans votre camp suite à vos propos rapportés illustrent une nouvelle fois à quel point le débat d’idées est devenu impossible à gauche, les anathèmes et les appels à la démission écrasant toute forme d’analyse et de réflexion. Après les 35 heures, le statut de la fonction publique est un autre tabou (certains diront totem) de la gauche, qu’il serait impossible de réformer car appartenant au musée des grandes conquêtes sociales de la gauche. Il semble donc acquis que votre prise de position restera lettre morte et qu’il n’y a plus rien d’audacieux à attendre de ce Gouvernement d’ici 2017.

Si la droite et le centre sont bien davantage disposés à faire bouger les lignes sur ces sujets, force est de reconnaître qu’ils ont peu agi en la matière pendant les années où ils ont gouverné la France. C’est donc avec humilité, en tant qu’homme de bonne volonté, que je vous écris pour partager avec vous, et plus largement avec les Français, mes propositions en matière de réforme du statut de la fonction publique.

Il faut tout d’abord partir d’un constat implacable : notre pays est suradministré. En effet, la France compte 90 agents publics pour 1000 habitants, contre seulement 50 en Allemagne. Par ailleurs, alors que l’emploi à vie est chez nous la règle, plusieurs pays européens ont réussi en quelques années à réviser le statut de la fonction publique, qu’il s’agisse de la Suède en 1993 avec la fin de l’emploi à vie pour 90 % des fonctionnaires ou bien de l’Italie qui est progressivement passé, pour 85 % des agents publics, de la logique du statut à celle de la contractualisation.

De ce constat, nous devons tirer quatre leçons principales.

  • La première, c’est qu’avant de parler du statut des fonctionnaires, il faut poser la question du rôle et des missions de l’Etat. En effet, il est indispensable, tant pour des raisons de contraintes budgétaires qu’afin de redonner le pouvoir à la société civile, de diminuer le périmètre de l’Etat et donc le nombre de fonctionnaires. Certaines interventions publiques doivent être abandonnées, en particulier toutes celles qui consistent à fournir des aides d’une main aux entreprises ou dans le domaine du logement, et à les taxer de l’autre, dans un grand jeu à somme nulle consommateur d’agents publics et source de complexité administrative. D’autres missions peuvent être automatisées ou encore externalisées vers le secteur privé agissant en délégation de service public. Cela est déjà le cas dans certains domaines comme les contrôles techniques pour véhicules, il est possible d’aller beaucoup plus loin, par exemple pour l’orientation des chômeurs ou pour certaines missions d’inspection (sanitaire, environnementale,sociale).

  • La deuxième, c’est que les fonctionnaires français doivent travailler plus, ce qui suppose d’augmenter la durée hebdomadaire du travail (passage de 35 à 39h) et de lutter contre l’absentéisme en imposant deux journées de carence pour les arrêts maladie dans le public comme dans le privé. De telles mesures, combinées à une réforme audacieuse des missions de l’Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales, doivent permettre de ne pas remplacer 2 fonctionnaires sur 3 (voire 3 sur 4) partant à la retraite.

  • La troisième, c’est qu’un alignement du statut de la fonction publique avec les contrats du travail du secteur privé s’impose aujourd’hui pour des raisons de lisibilité et d’équité. Le passage de l’ensemble des fonctionnaires en activité (à l’exception de certaines professions régaliennes qui doivent conserver un statut particulier) en CDI permettra une plus grande transparence dans les comparaisons entre public et privé et favorisera l’alignement des systèmes de cotisations et de prestations sociales, en particulier en matière de retraite. Une telle réforme doit s’accompagner d’un plafonnement des rémunérations dans les grilles de la fonction publique, sensiblement plus bas qu’aujourd’hui, compensé par des primes pour les fonctions à responsabilité (directeurs et chefs de service), qui seront plus largement ouvertes aux personnes issues du secteur privé et considérées comme des CDD. En effet, les hauts fonctionnaires ont vocation à montrer l’exemple, ils doivent être davantage rémunérés pour ce qu’ils font et selon les résultats qu’ils obtiennent pour nos citoyens, plutôt qu’en fonction de leur échelon.

  • La quatrième, c’est que la fonction publique a besoin d’être gérée avec plus de flexibilité, pour tenir compte des évolutions et des attentes de la société, y compris des progrès technologiques. Le modèle du fonctionnaire embauché à 20 ans, faisant le même travail pendant 40 ans puis touchant une pension de retraite payée par la sphère publique pendant 20 ans n’est plus adapté. Aussi, pour les missions n’ayant pas pu être transférées vers le secteur privé mais dont l’Etat ne peut pas garantir la pérennité sur plusieurs décennies, il est préférable de recourir à des contractuels, certainement en prévoyant des durées plus longues, des renouvellements plus faciles qu’aujourd’hui et des primes de fin de poste adaptées.

Je suis à votre disposition pour échanger sur ces propositions ainsi que sur celles qui sont les vôtres. Je puis vous assurer, comme je l’ai fait lors du passage de votre loi pour la croissance et l’activité, que je serai prêt à vous soutenir dans votre démarche réformatrice – si celle-ci, naturellement, ne se limite pas à un effet d’annonce sans lendemain.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de mes salutations distinguées.