L’exigence de vérité en politique : le corrigé du bac de philo par Vincent Lebiez

FIGAROVOX/ANALYSE – «La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité?» C’était l’un des sujets de l’épreuve de philosophie du bac. Vincent Le Biez s’est penché sur la question.

Vincent Le Biez est secrétaire général de Droit au Cœur et membre de les Républicains. Il s’intéresse à l’efficacité de l’action publique et cherche à décrypter les discours politiques. Retrouvez l’intégralité de l’article en cliquant ici.

«La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité?», voilà l’épineux et passionnant sujet auquel certains lycéens de la filière S ont dû traiter ce lundi pour le bac de philo. Plutôt que de s’engager sur le terrain du «discours de vérité» dont les responsables politiques seraient trop éloignés selon l’opinion commune, il est plus pertinent de s’interroger sur la signification profonde de la notion de vérité, et de voir en quoi elle peut s’appliquer ou non en politique.

En effet, le concept de vérité revêt des sens assez différents selon les champs auxquels il s’applique. Il importe donc de procéder à une «séparation des ordres», pour reprendre l’expression de Pascal, en commençant par le domaine où la notion de vérité est la moins ambigüe et la plus absolue, à savoir les mathématiques.

En effet, dans cette discipline, la vérité c’est l’évidence, ou plutôt la tautologie. Une proposition est vraie si on peut la déduire logiquement d’un ensemble d’axiomes considérés comme fondamentaux. Ainsi, chaque proposition mathématique est soit vraie, soit fausse (soit indécidable pour les puristes), sans qu’intervienne à aucun moment un jugement subjectif.

Les choses se compliquent dès que l’on aborde le champ des sciences expérimentales. En effet, pour reprendre un exemple bien connu, la mécanique newtonienne, basée sur la force de gravitation, était tenue pour vraie pendant des siècles avant qu’Einstein, avec la relativité générale, ne décrive un monde où n’existe pas de force de gravitation. La prudence devrait nous conduire à dire qu’il n’y a pas de raison que cette dernière théorie ne soit à son tour renversée par une nouvelle plus générale. L’épistémologue Karl Popper nous apprend d’ailleurs que c’est le propre de tout énoncé scientifique d’être falsifiable, c’est-à-dire de pouvoir être démenti par l’expérience. Toutefois, indépendamment de ces revirements des théories scientifiques au cours du temps, on peut considérer que le véritable juge de paix, ce sont les prédictions d’observations. En ce sens, on peut dire que la science est cumulative et qu’il y a bien progrès entre Newton et Einstein puisque la théorie du dernier permet de mieux prédire les observations que celle du premier. Cela suppose que l’expérience puisse être répétable et reproductible, ce qui est plus difficile à respecter à mesure que la science s’intéresse à des systèmes complexes, en biologie notamment.

Les sciences physiques n’ont donc pas accès à une vérité absolue comme les mathématiques mais peuvent fournir des propositions de plus en plus probables et de plus en plus précises. En revanche, la science peut démontrer qu’une théorie est fausse: n’importe quelle observation scientifique est susceptible de falsifier une théorie, les théories actuellement en vigueur étant celles qui n’ont pas encore été démenties par l’expérience.

Les sciences sociales, en particulier l’économie, s’intéressent également à l’étude de systèmes complexes où la causalité est presque toujours multiple et les expériences rarement répétables. Par ailleurs, alors que les sciences de la nature cherchent des vérités intemporelles, les résultats des sciences sociales sont très souvent historiquement datés. Pour reprendre un exemple célèbre, au cours de certaines périodes on peut clairement mettre en avant un «arbitrage de Philips» (c’est-à-dire une corrélation négative entre le chômage et l’inflation) mais pour d’autres périodes, notamment dans les années 70 on ne l’observe plus. Il semble donc que les théories des sciences sociales soient plus ou moins vraies suivant les époques, ce qui peut en partie être expliqué par l’influence que les sciences sociales exercent sur la matière qu’ils étudient. Pour le dire autrement, la nature ne réagit pas à ce que peut dire d’elle Newton ou Einstein comme la société peut réagir à ce que disent d’elle Friedman, Keynes ou Bourdieu.

Face à cette approche «physique», on peut trouver une approche «mathématique» de la recherche de la vérité en sciences sociales. Elle consiste à définir des axiomes qui gouvernent le comportement des individus pour en tirer logiquement des lois générales à l’échelle de la société. C’est la démarche de l’individualisme méthodologique propre à l’économie comme à la sociologie, dont le principal travers est de travailler sur un monde abstrait, où la description de ce qui est peut facilement céder la place à la prescription de ce qui devrait être.

Dans tous les cas, les sciences sociales semblent à la recherche d’énoncés plausibles à défaut d’être falsifiables. Bien entendu, entre la physique fondamentale et les théories de la croissance en économie, il y a tout un continuum de domaines de connaissance avec des objets d’études plus ou moins complexes, ce qui rend difficile de tracer une frontière nette entre les sciences physiques et les sciences sociales, entre le plausible et le falsifiable.

Qu’en est-il de la politique? La politique étant l’art de faire des choix, elle ne saurait relever de l’ordre de l’évidence comme les mathématiques, ni même de l’ordre du falsifiable ou du plausible, qui s’appliquent plutôt à l’évaluation des politiques publiques (que l’on peut classer dans le champ des sciences sociales) qu’à la définition d’objectifs politiques en tant que tel.

Le propre de la politique, c’est le contestable. Un énoncé ne peut être qualifié de politique que si l’on admet qu’une personne de bonne foi peut y trouver motif à désaccord. Le responsable politique ne peut donc pas prétendre apporter une vérité objective, il peut, en revanche, donner un éclairage au monde, le rendre intelligible, lui donner du sens. L’intelligible plutôt que le vrai: le matériau de base du politique reste la réalité, comme pour le scientifique, mais une réalité beaucoup plus complexe et diffuse qu’il s’agit de simplifier dans ses traits les plus significatifs. Si cette mise en ordre du chaos du monde est bien entendu subjective, elle peut être plus ou moins persuasive, en fonction du système de valeurs de chaque individu (qui relève pour le coup assez largement de l’indiscutable).

Si aucune vérité ne sera jamais établie en politique comme cela peut être le cas en sciences, tous les énoncés ne se valent pas pour autant: le contestable n’entraîne pas le relativisme absolu. Par exemple, s’il est tout aussi légitime et contestable de défendre la retraite par répartition ou la retraite par répartition, il n’est pas contestable qu’une augmentation de la durée de vie nécessite, d’une manière ou d’une autre, d’augmenter les cotisations, d’allonger la durée de cotisation ou bien de baisser les pensions pour garantir l’équilibre financier du système.

Ainsi, ce n’est pas parce que le propre des énoncés politiques est d’être contestable que les réalités physiques, économiques et sociales sur lesquelles ils s’appuient peuvent également être considérés comme contestables. Il y a même un grand danger à trop «politiser» le monde, c’est-à-dire à confondre ce qui relève du choix et de l’opinion et ce qui relève de la vérité factuelle.

Malheureusement, la mauvaise foi qui gangrène le débat politique, en particulier dans notre pays, permet difficilement de le poser en ces termes et de faire apparaître, derrière les désaccords légitimes, des systèmes de valeur différents à partir d’un réel commun. Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de considérer que l’opinion d’un adversaire politique est respectable, c’est au contraire un révélateur de la solidité de ses propres convictions.

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