Ne pas se laisser aveugler par Poutine en Syrie

Retrouvez ici ma tribune dans Figaro-Vox.

Je suis un ami de la Russie et de son peuple, fasciné par sa langue et sa culture. Les grands auteurs russes ont beaucoup compté dans ma formation intellectuelle et idéologique, en particulier Alexandre Soljenitsyne, dont je prépare le centenaire de la naissance en 2018 avec sa femme que j’ai l’honneur de compter parmi mes amis. Son discours d’Harvard (1978), « Le déclin du courage » est un appel à la liberté et aux valeurs qui a toujours été au cœur de mon engagement politique.

Beaucoup, à droite en particulier, aimeraient nous faire croire aujourd’hui que l’amitié avec la Russie passe uniquement par un alignement inconditionnel sur Vladimir Poutine, dont les méthodes autoritaires et belliqueuses sont portées au pinacle. La Russie aurait besoin, selon eux, d’un homme à poigne. Je me refuse à faire du dirigeant russe le nouveau héraut des valeurs européennes. Je crois beaucoup au dialogue entre l’Europe et la Russie, qui est une nécessité pour le futur de notre continent, mais cela doit se faire d’égal à égal, pas en adoptant une posture couchée.

Dire que la France n’aurait le choix qu’entre un alignement atlantiste sur les Etats-Unis et un alignement autoritariste sur la Russie est une grave erreur d’analyse. La France est un pays souverain, qui doit conduire sa politique étrangère en fonction de ses propres intérêts et qui doit refuser toute forme de systématisme. Les Français doivent pouvoir continuer à être fiers de leur diplomatie et du rôle de puissance autonome que la France doit jouer dans le monde.

Bien entendu, il faut parler avec Vladimir Poutine, chef d’Etat légitime de la Russie et leader politique majeur sur la scène internationale. Qui le conteste ? De multiples mains ont été tendues à la Russie ces dernières années par les pays européens et par les Etats-Unis d’Obama, qui a opportunément abandonné la rhétorique anti-russe de son prédécesseur.

Ce fut assurément une erreur lourde pour l’Occident de mépriser la Russie après la chute du communisme et de ne pas honorer son rang de grande puissance. Mais ces fautes ont été en grande partie corrigées ces dernières années. Dire que la Russie serait toujours tenue à l’écart et humiliée par l’Occident et qu’il s’agirait donc de la cause première de son attitude belliqueuse est un mensonge, repris malheureusement avec entrain par certains dirigeants de la droite française.

Jamais le dialogue n’a été rompu sur les deux dossiers brûlants que sont l’Ukraine et la Syrie. Accords de Minsk associant la Russie, l’Ukraine, la France et l’Allemagne (le format « Normandie ») dans un cas, processus de Genève avec des tentatives répétées mais malheureusement infructueuses de cessez-le-feu dans l’autre. La destruction des armes chimiques du régime syrien en 2015, à l’initiative de la Russie, montre que Vladimir Poutine peut jouer un rôle utile pour la paix.

S’agissant de la Syrie, force est de reconnaître que nos intérêts ne sont pas alignés avec ceux de Vladimir Poutine. Nous faisons face à deux enjeux principaux : la lutte contre Daech, dont la Syrie constitue la principale base arrière des actes terroristes commis sur notre territoire, et la maîtrise des flux de migrants fuyant la guerre civile et souhaitant rejoindre l’Europe. Pour la Russie, l’objectif est de conforter le régime Assad, malgré ses exactions et sa perte de légitimité, afin d’accroître son influence au Moyen-Orient.

Ne soyons pas naïfs : la priorité de la Russie n’est pas de combattre Daech ni de mettre fin à la tragédie syrienne. Preuve en est la concentration des bombardements russes sur les adversaires internes d’Assad, stratégie qui a, pendant un temps, permis à l’organisation terroriste de gagner de nouveaux territoires. Ces actions militaires d’ampleur, menées depuis plus d’un an, ont accru l’afflux de réfugiés syriens, qui préfèrent se rendre en Europe plutôt que de rester sous les bombes de Poutine et d’Assad. Par cette politique, la Russie défend peut-être ses intérêts, mais elle va à l’encontre des nôtres. La moindre des choses serait de le reconnaître plutôt que de prétendre naïvement que la Russie serait notre meilleur allié dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

Au-delà de ces divergences stratégiques, les frappes russes en appui au régime syrien à Alep ont des conséquences humanitaires gravissimes. Bombardements aveugles ou, pire, qui ciblent les hôpitaux pour installer le chaos et le désespoir dans la population civile. Qui peut dormir tranquille face à de telles atrocités ? Ce sont des crimes de guerre qui doivent être punis.

D’autant plus que cette stratégie meurtrière est vouée à l’échec. Rappelons que la Syrie est composée à plus de 60% d’arabes sunnites, qui sont très majoritairement opposés au régime de Bachar El Assad et à ses alliés chiites (Iran, Hezbollah). Sauf à considérer, que ces millions de personnes sont tous des terroristes en puissance et qu’il faudrait les exterminer sous les bombes, on voit mal où mène la politique russe.

Je reconnais que la situation syrienne est à bien des égards inextricables et qu’aucune solution simple ne permettra de mettre fin à cette guerre civile atroce. Ma visite sur le porte-avions Charles de Gaulle en opération sur cette zone m’a appris la complexité de la situation. Mais je suis convaincu qu’un autre chemin peut et doit absolument être emprunté : celui de la lutte de l’ensemble des forces en présence contre Daech et du cessez-le-feu par ailleurs. Il faut que chaque composante de la Syrie se sente enfin protégée : les Arabes sunnites proches de la Turquie et des pays du Golfe, les Alaouites proches du régime d’Assad, les Kurdes sans doute les meilleurs alliés des occidentaux sur le terrain et les Chrétiens d’Orient, pour lesquels la France a une responsabilité particulière.

Entre la politique étrangère inaudible et impuissante de l’actuel gouvernement français et l’alignement sur Vladimir Poutine prôné par certains candidats à la primaire de la droite, il existe une autre voie pour la France. Celle d’un pays réellement souverain, manipulé ni par la Russie, ni par les Etats-Unis, et qui use de son influence diplomatique et militaire au Moyen-Orient pour forcer les différents acteurs en présence à trouver un compromis qui mettent fin à ce bain de sang. C’est la voie portée par Alain Juppé, c’est l’une des raisons de mon soutien à sa candidature.

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