Trois cercles pour donner une impulsion nouvelle à la construction européenne

1.  Refonder l’Europe sur 3 cercles concentriques : un noyau dur composé des 6 pays fondateurs, la zone Euro et l’ensemble de l’Union Européenne

2.  Lancer une nouvelle initiative européenne à travers un traité intergouvernemental entre la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et les Pays-Bas pour aller plus loin dans l’intégration économique, budgétaire, sociale et politique

3.  Elargir la sphère d’influence de l’Union Européenne au bassin méditerranéen et nouer un grand partenariat stratégique entre l’UE et la Russie

4. Conserver l’unité des institutions européennes actuelles (Commission, Parlement, Conseil) mais en les rendant plus flexibles et modulaire pour s’adapter à cette Europe à plusieurs cercles

5. Limiter le nombre de commissaires européens à 15 (tous issus du Parlement européen) et faire en sorte que le Président de la Commission soit le leader du parti ayant remporté les élections européennes

6. Organiser des élections européennes communes au niveau de l’Europe des 6, avec des listes supranationales pour faire émerger des programmes politiques paneuropéens

Le constat est de plus en plus partagé : alors qu’une plus grande intégration européenne est rendue nécessaire par la montée des pays-continents émergents et souhaitable pour défendre les valeurs de la civilisation européenne dans la mondialisation, les récents élargissements rendent toute évolution du projet européen lourde et hasardeuse. Le projet européen a donc besoin d’un nouveau souffle, en particulier dans le contexte actuel de sortie de crise économique afin de réconcilier les citoyens européens avec une Europe aux contours flous, davantage perçue comme une contrainte que comme une construction positive.

Cette situation appelle inévitablement une remise à plat et une remise en ordre des politiques européennes, avec en particulier une application plus rigoureuse du principe de subsidiarité, mais un tel projet politique ne saurait être suffisant. L’Europe a besoin d’une nouvelle perspective, de nouveaux projets, d’un nouvel horizon, sans quoi il sera impossible de convaincre et de motiver les électeurs et d’éviter une montée en puissance des mouvements eurosceptiques.

Par ailleurs, le manque de coordination et de solidarité et les écarts de compétitivité au sein de l’Union Européenne et de la zone Euro a été mis en exergue par la crise financière qui s’est abattue sur l’Europe après avoir traversé l’Atlantique. Des progrès importants ont été accomplis depuis, tant du point de vue de la coordination des finances publiques que des politiques macroéconomiques. Ils méritent d’être salués même s’ils résultent de décisions prises dans l’urgence au niveau intergouvernemental qu’il convient de consolider sur le plan démocratique.

Pour dépasser ces lacunes et insuffler une dynamique nouvelle qui aille au-delà de la simple réponse à la crise, des chantiers ambitieux à plus long terme doivent être lancés. Plusieurs idées ont été avancées ces dernières années pour aller dans ce sens : développement de coopérations renforcées sur des thématiques ciblées, mise en place d’une Europe duale structurée autour de l’appartenance ou non à la zone Euro (avec la création in fine d’un Parlement propre à la zone Euro),… sans qu’aucune ne soit parvenue à s’imposer à ce jour.

Construire une véritable union politique et budgétaire au niveau de la zone Euro semble aujourd’hui prématuré en raison de la trop grande hétérogénéité des pays qui la compose. A l’évidence, l’Europe doit se recomposer en cercles ayant des niveaux d’intégration différenciés et une nouvelle impulsion doit être donnée en son cœur par un groupe restreint de pays.

L’Union Européenne doit ainsi s’appuyer sur un noyau dur, qui pourrait initialement être basé sur les pays fondateurs de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, composée de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et du Bénélux), éventuellement en y ajoutant l’Espagne et en y retirant le Luxembourg. Ce groupe, qui pourrait être assez rapidement élargi à d’autres pays proches (Autriche, Danemark,…) viserait une intégration économique, budgétaire et sociale très forte, ce qui supposerait une véritable union politique. Ce noyau dur pourrait également prendre en charge certaines question de sécurité, en particulier la sécurité des frontières extérieures. Dans un premier temps, ce noyau dur pourrait être constitué par un traité intergouvernemental, de préférence ratifié par référendum, qui prévoirait la mise en commun de certaines politiques économiques et sociales, la mutualisation de certaines recettes fiscales pour les financer ainsi que la fixation de certains critères d’harmonisation économique et sociale.

Le deuxième cercle, qui engloberait ce noyau dur européen, correspondrait à l’actuelle zone Euro. Son objectif ne serait plus la mutualisation et l’harmonisation mais la convergence progressive des politiques économiques et sociales ainsi que le partage d’une même monnaie impliquant une union financière et bancaire. Les pays membres de ce second cercle auraient vocation à rejoindre ceux du noyau dur précédemment décrit, même si ce processus d’élargissement doit être conduit dans la durée et avec les garanties nécessaires pour éviter les errements passés.

Enfin, le cercle le plus large regrouperait l’ensemble des pays de l’Union Européenne dans un grand marché commun et une vaste zone de libre-échange qui seraient à même d’assurer, d’une part la prééminence économique et commerciale de l’Europe dans le monde, et d’autre part la paix, la stabilité et la liberté politique qui constitue le miracle européen.

Réduit à ces attributions qui ne supposent pas une intégration politique poussée et qui sont moins sensibles pour les opinions publiques, ce troisième cercle pourrait rayonner sur l’ensemble du bassin méditerranéen sans susciter la méfiance des citoyens européens. Cela suppose néanmoins que les règles régissant ce grand marché commun ne soient pas trop intrusives et tatillonnes et s’inscrivent dans le respect du principe de subsidiarité. Un tel ensemble possèderait à coup sûr la taille critique face aux grandes puissantes qui feront le XXIème siècle (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil,…) et aurait vocation à nouer un grand partenariat stratégique avec la Russie.

Pour faire fonctionner cette Europe à plusieurs cercles, une réforme des institutions sera nécessaire à terme, le fonctionnement par traité intergouvernemental ne pouvant servir qu’à amorcer le mouvement. Les institutions européennes, que certains décrivent aujourd’hui comme sclérosées et peu démocratiques, ont plus que jamais besoin d’unité, de légitimité et de flexibilité.

Il s’agit en premier lieu de maintenir l’unité des institutions européennes existantes, à savoir une Commission, un Parlement et un Conseil des Ministres (composé des Ministres compétents de chacun des Etats membres). Pour plus de lisibilité, ces deux dernières institutions co-législatrices pourraient être renommées chambre basse (pour le Parlement) et chambre haute (pour le Conseil) d’un véritable Congrès Européen, organe législatif de l’Union Européenne également en charge de contrôler l’organe exécutif : la Commission Européenne.

Celle-ci serait directement issue des élections européennes : seuls les membres de la chambre basse pourraient devenir commissaires et ils seraient élus et pourraient être révoqués par cette même chambre, sans interférence du Conseil Européen (qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement) comme c’est le cas aujourd’hui. Elle serait par ailleurs composée d’un nombre plus limité de membres (une quinzaine), rompant ainsi le lien entre commissaire et Etat membre qui n’a aucun sens. Son Président serait issu de la majorité du Parlement européen après avoir mené une véritable campagne pan-européenne. Une telle évolution permettrait de donner plus de légitimité à l’exécutif européen et plus d’intérêt aux élections européennes, qui sont aujourd’hui principalement utilisées comme des votes défouloirs par les électeurs européens.

Afin de renforcer l’intérêt de ces élections européennes et leur caractère supranational, une initiative pourrait être prise au niveau du noyau dur (premier cercle) de l’UE avec une élection commune par liste qui mêlerait d’un côté les partis de droite et de l’autre les partis de gauche français, allemand, italien,… (sans oublier les écologistes, les libéraux, les eurosceptiques, les communistes,…). Une telle évolution, qui contribuerait à coup sûr à l’émergence d’une opinion publique européenne et à l’obligation pour les partis politiques européens de définir une vision et des projets communs, pourrait être opérée assez rapidement sans modifier les traités existants, chaque Etat membre étant aujourd’hui libre des modalités d’organisation de ces élections européennes, pourvu que le scrutin soit à caractère proportionnel. Les pays n’appartenant pas au noyau dur seraient libres de garder leur organisation actuelle ou pourraient s’associer entre eux également. L’objectif est de recréer un véritable clivage gauche/droite pour repolitiser la vie politique européenne et faire qu’elle intéresse les citoyens.

Pour s’adapter à cette Europe à plusieurs cercles, ces institutions européennes auraient vocation à être utilisées avec une plus grande flexibilité qu’aujourd’hui, selon un principe de subsidiarité géographique. En fonction des sujets traités, ne prendraient part au vote du Congrès Européen que les représentants des pays concernés (par exemple uniquement ceux du noyau dur pour une décision concernant une politique du premier cercle), en tenant compte, comme aujourd’hui, du poids démographique des différents Etats. De même, des commissaires européens spécifiques aux 1er et 2ème cercles seraient institués et élus uniquement par les membres du Parlement européen appartenant aux pays concernés.

Plutôt que de créer un nouveau Parlement de la zone Euro, on utiliserait ainsi le sous-ensemble du Parlement européen correspondant au second cercle, qui élirait notamment un commissaire en charge de la zone Euro qui se substituerait à l’actuel Président de l’Eurogroupe. Un fonctionnement similaire serait institué pour le noyau dur et les autres cercles qui verraient éventuellement le jour au sein de l’Union Européenne. Modulaires et flexibles, les institutions européennes pourraient préserver leur unité tout en s’adaptant aux différents cas de figure.

Une telle évolution de l’Union Européenne est très ambitieuse mais pourrait néanmoins être acceptée majoritairement par des citoyens pourtant gagnés par l’euroscepticisme en raison du recentrage sur un noyau dur qui est proposé. Plus que l’intégration européenne, c’est la dilution sans fin de l’UE et sa transformation en “ogre bureaucratique” que les citoyens craignent. Sans attendre une refonte globale des traités européens, qui prendra nécessairement du temps (mais sera nécessaire à terme), c’est une initiative des pays fondateurs (+ l’Espagne) qui est aujourd’hui souhaitable et à même de relancer et refonder ce beau projet européen.

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