Comment les pays fondateurs de l’Europe peuvent-ils lui redonner de l’élan ?

1.  Mettre en place un cercle restreint d’États, moteurs et poids-lourds du projet européen, aspirant à accéder rapidement à davantage d’intégration politique, économique et sociale. Dans un premier temps, un « Club des Six » pourrait être constitué de membres fondateurs de la CECA (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Belgique) et de l’Espagne.

2.  S’engager à défendre des positions communes au sein de l’Union Européenne et de la zone Euro et rechercher une représentation unique dans certaines institutions internationales (OMC, G20, FMI,…).

3.  Tendre à l’harmonisation des cadres sociaux (SMIC, minimas sociaux, portabilité des droits sociaux) et fiscaux (convergence des bases fiscales et des taux, à travers un « serpent fiscal ») des États membres

4.  Mettre en place un budget à Six, financé par des impôts communs (impôt sur les sociétés, certaines cotisations sociales, une partie de la TVA) et une capacité d’émission centrale, qui prendrait à sa charge des compétences budgétaires exclusives, telles que la stabilisation contracyclique (à commencer par les prestations chômage), les grands projets d’investissement et de R&D.

5.  Soumettre ce budget commun du Club des Six à une règle stricte d’équilibre structurel hors investissement.

Le moteur européen, c’est bien connu, a été, depuis 50 ans, toujours entretenu par le même centre névralgique historique : les premiers bâtisseurs, les premiers visionnaires qui après-guerre, décidaient de s’unir dans la Communauté européenne du charbon et de l’acier (la CECA). On l’aura tout particulièrement constaté depuis l’avènement de la crise : ce sont toujours la France et l’Allemagne qui mènent la danse (parfois à contretemps) des sommets européens, et ponctuent l’agenda des réformes.

Pour redonner une impulsion nouvelle, et une plus grande créativité et spontanéité à une Europe handicapée par des droits de vote trop pesants (majorité qualifiée au niveau communautaire, unanimité sur tous les autres sujets), il apparaît aujourd’hui nécessaire de se recentrer sur un cercle restreint de pays européens puissants et moteurs, une union beaucoup moins dispersée, dont le champ géographique pourrait ressembler à celui de la CECA (Allemagne, France, Italie et Benelux), éventuellement étendu à l’Espagne et hors Luxembourg. La conjonction de l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas et la Belgique représente à elle seule 87% du PIB de la zone euro à 17 et 64% de l’Union à 27… Ce « noyau dur » pourrait dans un premier temps se formaliser au travers d’un accord intergouvernemental, avant qu’un format réduit de Parlement européen, de Conseil européen et de Commission ne soit mis en place au sein même des traités constitutifs des institutions actuelles pour assurer la gouvernance de ce « Club des Six ».

Ce cercle restreint d’intégrateurs constituerait une véritable union politique intégrée, dont la voix serait unie au sein des enceintes de l’Union européenne et de la zone euro, ainsi qu’au sein de certaines institutions internationales (OMC, G20, FMI,…). Pour rendre le fonctionnement de ce noyau dur plus souple, plus réactif et plus efficace, le Club des Six devrait s’orienter à terme vers une structure juridique monale : le droit des Six s’imposant directement et sans transposition à ses membres. En outre, un effort de codification devrait être fait pour abroger les normes nationales dès lors que des normes à Six auraient été mises en place.

Ce Club des Six serait également une véritable union budgétaire et fiscale. Les efforts des Gouvernements européens ont été concentrés essentiellement sur la prévention de crise, et notamment sur la mise en place de mécanismes forts de surveillance et de contrôle : une union bancaire dont le seul pilier vraiment acquis est la supervision unique ; une gouvernance globale des finances publiques nationales qui, afin de prévenir l’aléa moral lié à la coexistence de budgets nationaux au sein de la monnaie unique (avec des dispositifs de contrôle et de discipline budgétaire), laisse au final peu de marge de manœuvre budgétaire aux États membres.

Or, la rationalité économique, et l’ambition initiale des Gouvernements, est bien d’assortir ces garde-fous de mécanismes de solidarité. C’est d’autant plus indispensable que de tels systèmes permettraient de sortir (enfin) du fameux dilemme entre austérité et croissance.

Dans ce contexte, le Club des Six devrait être envisagé comme une véritable union budgétaire et fiscale, assise sur des impôts directement prélevés auprès des contribuables européens, ayant vocation à financer les dépenses qui seraient transférées à cet échelon. Il pourrait ainsi être envisagé de mettre en place un budget fédéral doté de ressources propres et éventuellement d’une capacité d’endettement propre, qui permettrait :

• la centralisation des moyens de stabilisation contracyclique et d’absorption des chocs asymétriques. La logique contracyclique est déjà bien établie dans les traités actuels, mais il serait bénéfique que les excédents conjoncturels des uns permettent de financer les déficits conjoncturels des autres (l’objectif n’étant pas d’aboutir à des transferts structurels de richesse entre pays) ;

• la mise en œuvre d’un plan de relance européen, en cas de choc touchant les 6 pays : cela viendrait compléter utilement la politique monétaire, qui, bien que ciblant l’activité et l’inflation de la zone euro dans son ensemble, répond essentiellement à la conjoncture économique des Six, qui représentent près de 90% du PIB et 85% de l’indice harmonisé des prix à la consommation (indicateurs utilisés par la BCE) ;

• le financement d’externalités et la réalisation d’économies d’échelle (sources de croissance) : il s’agirait des dépenses de recherche et de développement, des politiques environnementales, de l’immigration, de la sécurité. Surtout, il faudrait que la politique industrielle soit intégrée dans une vision globale, afin de mutualiser les efforts.

En d’autres termes, la subsidiarité devrait être étendue de manière à éliminer au mieux les phénomènes de contagion. Il faudrait également, afin de mettre fin aux phénomènes de concurrence que ce cercle accepte d’adopter une fiscalité uniformisée, ou à tout le moins d’assurer la convergence fiscale et sociale, ce projet bloqué depuis tant d’années au niveau des 17 :

• il faudrait en particulier uniformiser les minima sociaux (SMIC, RSA, santé ; en automatisant la portabilité des droits acquis), ainsi que de l’ensemble des règles d’accueil des immigrés.

• un « serpent fiscal » définirait en outre un cadre harmonisé pour la fiscalité dans chacun des 6 États, tout en laissant suffisamment de flexibilité en cas de nécessité ; opérationnellement, un tel mécanisme aurait vocation à fixer des assiettes d’imposition communes, et des fourchettes pour les taux correspondants (en tenant néanmoins compte d’éventuelles circonstances exceptionnelles).

Que ferait en pratique ce budget commun du Club des Six ? Il semble légitime d’emblée d’envisager le transfert – évidemment progressif, après concertation et harmonisation des normes nationales – des compétences et dépenses suivantes : prestations d’assurance-chômage (dépenses contracycliques permettant de lisser les chocs conjoncturels asymétriques), grands projets de R&D nécessitant la mise en commun de moyens importants et permettant de réaliser des économies d’échelle, construction et exploitation des infrastructures supranationales (transport, énergie, santé, sécurité, etc.), prise en charge des coûts relatifs au vieillissement (pensions, santé, dépendance), lutte contre le réchauffement climatique, sécurité intérieure et des frontières.

Côté recettes, le budget des Six serait abondé par des impôts : en premier lieu par une partie de la TVA, par un impôt sur les sociétés harmonisé, et par les cotisations sociales relatives aux prestations transférées. À terme, la création d’un impôt sur le revenu européen progressif – complémentaire aux IR nationaux, qui permettraient quant à eux de laisser chaque pays ajuster son degré de redistribution, les appétences historiques et sociétales de chacun sur cette question n’étant pas homogènes – pourrait être envisagée, même si un tel transfert serait nettement plus sensible et complexe à mettre en œuvre.

Ce budget à 6 serait soumis à une règle stricte d’équilibre structurel hors investissement. Les déficits conjoncturels et les investissements pourraient être financés par une capacité d’endettement commune, qui pourrait être confiée à une agence d’émission centralisée et qui émettrait des titres (eurobonds, eurobills). Les pays conserveraient la possibilité de lever de la dette pour leur propre compte, charge à eux de faire valoir l’intérêt socio-économique de ce qu’ils financeraient grâce à ces émissions, qui ne seraient pas mutualisées. La dette émise par le noyau dur servirait à financer les compétences transférées par les échelons nationaux, et viendrait donc se substituer (et non s’additionner) aux dettes nationales.

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