Et si l’Etat se comportait enfin en bon père de famille ?

1.  Réduire les doublons de compétences en fusionnant certains niveaux de collectivités locales et en recentrant l’administration déconcentrée de l’Etat au niveau régional

2.  Modérer l’évolution de la masse salariale des 3 fonctions publiques en allongeant la durée des échelons, en supprimant 2 fonctionnaires sur 3 partant à la retraite et en permettant une gestion plus active des ressources humaines dans l’administration

3.  Redéfinir le champ des politiques publiques en confiant davantage de responsabilités à la société civile et en externalisant au secteur privé certaines missions de service public

4.  Obliger toutes les administrations (et les opérateurs publics) à adopter des budgets pluriannuels, sous le contrôle du nouveau Haut Conseil des Finances Publiques et de l’Agence France Trésor

Les administrations publiques françaises sont en déficit systématique depuis le milieu des années 70, entretenant un niveau de dépenses largement supérieur aux recettes perçues – un comportement qui ne serait accepté ni d’une entreprise, ni d’un ménage. Le fardeau de la dette publique a été multiplié par 5 depuis 1980, et atteindra bientôt les 100% du PIB : il faudrait donc presque toute les richesses produites en un an à l’intérieur du territoire français pour rembourser les engagements financiers de la puissance publique (et encore, on ne compte ici que les engagements explicites, à l’exclusion notamment des droits de pensions acquis).

D’un point de vue économique, l’endettement public est nécessaire pour financer des dépenses comportant des externalités positives profitant aux générations futures qui doivent ainsi participer à leur remboursement. Toutefois, il a des effets négatifs s’il est utilisé à l’excès. Même s’il n’existe pas de seuil théorique à partir duquel l’endettement devient néfaste, il est évident qu’avoir comme 2e poste de dépenses effectives de l’État (14% du budget en 2013, derrière l’éducation) le remboursement des intérêts d’emprunt n’est pas un modèle satisfaisant, surtout lorsqu’il s’agit de payer des intérêts pour des plans de relance dont l’impact positif s’est dissipé depuis longtemps, ou des prestations excessivement généreuses qui ont pu être accordées par le passé. Ce poids écrasant des intérêts (environ 70 Md€) évince évidemment les autres dépenses, utiles : l’investissement, les prestations efficaces, l’éducation et la recherche ; et fait courir le fameux risque du emballement de la dette connu sous le nom d’effet boule de neige. L’Agence France Trésor doit ainsi faire appel aux marchés financiers pour couvrir non seulement le déficit budgétaire, mais également les arrivées à échéance des dettes contractées par le passé, que l’État est dans l’incapacité de rembourser. Une telle dépendance aux marchés financiers (qui ne s’est développée que depuis la libéralisation financière des années 90) est une vulnérabilité pour la souveraineté de notre pays, et génère des effets d’éviction de la dette privée (rentable) par la dette publique (pas toujours justifiée et héritée du passé). Plus fondamentalement, a-t-on le droit de faire payer aux générations futures les excès d’aujourd’hui dont elles ne tireront aucun fruit ?

Ce modèle de recours systématique à l’endettement est remis en cause aujourd’hui. À juste titre : les pouvoirs publics français n’ont plus l’assise économique qu’ils ont pu avoir jusque dans les années 90 ; les comptes publics ne sont plus de taille face aux portefeuilles des grandes entreprises et aux marchés financiers, et les prêteurs se défient de la réputation de bon emprunteur de l’État, comme l’ont montré les dégradations successives par les différentes agences de notation de la signature souveraine. Fini le temps où l’inflation (plus ou moins délibérée) et la croissance permettaient de réduire mécaniquement le poids de la dette dans le PIB – l’euro ou le franc emprunté aujourd’hui perdant avec le temps de la valeur et devenant donc plus facile à rembourser. Avec une population vieillissante, le potentiel de croissance future n’est plus aussi prometteur, et à cela s’ajoute la perspective de dépenses de retraite et de dépendance qui explosent.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les États de la zone euro ont dû mettre en place tous les garde-fous que l’on connaît aujourd’hui sous les noms fleuris de six pack, two pack, et traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. C’est aussi ce qui a conduit la France à promouvoir l’équilibre des finances publiques au rang de règle constitutionnelle en 2008 – l’article 34 de la Constitution étant à présent renforcé par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et la gouvernance des finances publiques.

Les prélèvements obligatoires sont déjà bien trop élevés en France : la rémission ne pourra passer que par la potion, certes amère après des décennies de prodigalité (pour ne pas dire de gaspillage), de la réduction du champ de l’action publique. Les gouvernements, central et locaux, doivent donc dorénavant se concentrer sur des dépenses ponctuelles, ciblées, efficaces et s’inscrivant dans un calendrier précis. En effet, aux antipodes du principe keynésien de stabilisation, la politique budgétaire française est trop procyclique : quand la croissance revient, les rentrées fiscales doivent permettre de réduire le déficit créé durant les périodes moins fastes, pas à chanter tout l’été…

Par ailleurs, pour réduire le poids du secteur public en France, on doit exiger des administrations publiques une productivité satisfaisante. Ces gains d’efficience peuvent être trouvés :

– par l’éradication systématique des doublons de compétence : en France 40% des dépenses seulement sont assurées par un sous-secteur spécifique ;

– par la rationalisation des achats publics :

– par la modération de la masse salariale salaires distribués dans les trois fonctions publiques. Côté salaires, le gel actuel du point d’indice étant de toute évidence intenable à moyen terme, puisqu’il grève le pouvoir d’achat des nouveaux entrants, il faut allonger les échelons et trouver des mécanismes d’incitation pertinents pour que les primes soient mieux alignées sur la productivité. Côté effectifs, outre la reprise de la politique de non renouvellement automatique des personnes partant à la retraite (en passant de 1/2 à 2/3), il serait envisageable d’introduire le licenciement des fonctionnaires pour incompétence et permettre à chaque administration d’avoir une gestion active des ressources humaines;

– en mettant l’accent sur le niveau territorial: il reste des gisements de productivité importants à cibler concernant les collectivités (regroupement de différents échelons) et la représentation locale de l’État (passage d’un Etat départemental à un Etat régional).

Enfin, il est urgent de procéder à un réexamen de la pertinence de l’intégralité des politiques mises en œuvre, avec une évaluation systématique du rendement socio-économique et le transfert le cas échéant au secteur privé de certaines compétences. Cette évaluation doit se faire, et pas seulement au niveau central comme aujourd’hui, ex ante et ex post, en s’appuyant sur des comparaisons internationales. Elle permettra vraisemblablement un redéploiement vers les dépenses d’investissement, de recherche et de développement (qui ne représentent aujourd’hui que 6% des dépenses publiques), de mieux cibler les dépenses sociales, de supprimer au moins un échelon du millefeuille qu’est notre organisation territoriale, et enfin d’externaliser au secteur privé toutes les fonctions qui relèvent des activités marchandes, ou pour lesquelles il est possible à moindre coût de faire intégrer par le secteur privé des missions de service public. Il ne s’agit pas de faire disparaître l’État de manière inconséquente, mais d’en réduire le champ aux domaines où il est indispensable économiquement et socialement et de faire jouer un plus grand rôle à la société civile.

Sur le plan de la gouvernance, la difficulté est évidemment de se contraindre i) temporellement, pour éviter les cadeaux électoraux et la procrastination ; ii) géographiquement, parce que toutes les administrations doivent participer aux objectifs ; iii) rationnellement, pour ne pas non plus tomber dans l’austérité par principe. Toutes les administrations doivent se voir fixer des objectifs pluriannuels de déficit, avec l’obligation de présenter des plans budgétaires pluriannuels conformes, et des sanctions pénalisant les déviations qui ne se justifieraient pas par des facteurs exogènes. Le Haut conseil des finances publiques pourrait se charger, au niveau national, de ce rôle de chien de garde que l’on a donné à la Commission au niveau européen, de même que l’AFT pourrait avoir un droit de regard sur les programmes d’endettement de tous les émetteurs de titres publics. Les collectivités qui voudraient conserver l’autonomie actuelle devraient prendre pleinement leurs responsabilités financières et opter pour une disjonction totale, en renonçant aux dotations de l’État (hors fonds de péréquation), à sa garantie implicite (plus de sauvetage en cas de faillite), et en rétribuant la mise à disposition de l’appareil de perception fiscale.

Au final, il s’agit donc de moins dépenser, de mieux dépenser, et de mieux planifier.

 

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