Le nécessaire recentrage de la diplomatie française

1. Accorder une priorité de moyens (financiers, politiques, militaires,…) au renforcement de notre action vis-à-vis de l’Afrique, de la Méditerranée et du Moyen-Orient

2. Relancer la dynamique méditerranéenne sur des bases plus concrètes et plus restreintes entre pays riverains

3. Rationnaliser et systématiser le renforcement de nos relations bilatérales (déplacements des Ministres, dialogues bilatéraux,…), en particulier à destination des pays émergents du premier cercle (Brésil, Russie, Inde, Chine) et du second (Colombie, Indonésie, Vietnam, Ethiopie, Turquie,…)

4. Refonder et développer la Francophonie, qui est un atout majeur aujourd’hui sous-employé de la France, en l’orientant en particulier vers des missions économiques et en l’ouvrant à de nouveaux partenaires publics et privés

Dans un contexte où les principales préoccupations des Français trouvent une origine domestique (fiscalité, chômage, crise de l’identité), il est permis de s’interroger sur la place que doivent occuper les questions internationales dans un projet politique. Bien que les enjeux qui y sont liés apparaissent souvent éloignés du quotidien et sans impact direct sur les conditions de vie de nos concitoyens, aucune des préoccupations premières, citées ci-dessus, ne saurait entièrement s’abstraire de sa dimension internationale – parce que les problèmes, autant que leurs solutions, y trouvent souvent des ramifications nombreuses.

Considérée ainsi, la politique étrangère est un moyen de poursuivre à l’extérieur les intérêts et les buts affectés à une politique donnée, plus qu’une finalité en soi -consistant à « rayonner » urbi et orbi-. Ainsi, la crise économique est-elle étroitement liée à une question d’attractivité et de compétitivité sur les marchés mondiaux, bien qu’on ne puisse pas l’y réduire. De même, la crise de l’identité ressentie par de nombreux citoyens se traduit-elle souvent par une interrogation sur notre rapport à la mondialisation, sur la crainte du déclassement, en un mot sur la place de la France dans le monde.

Sur ce plan, un bref rappel des faits s’impose. Le contexte de redistribution du pouvoir que traverse le monde à l’heure actuelle, qui redéploye au profit des pays émergents une partie de l’influence accumulée en quatre siècles par l’Occident, s’apparente à un retour à l’équilibre beaucoup plus qu’à une révolution. Les travaux de l’économiste du long terme Angus Maddison ont ceci d’intéressant qu’ils mettent ce mouvement en perspective. Il apparaît ainsi que la répartition actuelle des richesses mondiales s’apparente à celle qui prévalait vers 1870, les cinq puissances occidentales représentant 30% du PIB mondial (à ceci près que les Etats-Unis en portent à eux seuls les deux tiers, contre un tiers alors). Tout porte à croire que, la tendance se poursuivant, cette part se réduise encore au niveau qu’elle occupait avant la Révolution Industrielle.

Deuxième enseignement : ce phénomène n’est pas lié spécifiquement à la France, à qui les commentateurs attachent trop systématiquement les notions de « déclin » et de déclassement. La problématique du « déclin » de l’influence française ne peut se comprendre indépendamment du phénomène plus large de déclassement de l’Occident. D’autres symptômes récents se sont ainsi fait jour chez nos partenaires, autour d’un champ lexical dont on croit trop souvent détenir le monopole : on citera ainsi la perte d’influence des Etats-Unis au Moyen-Orient, le choc occasionné par le vote négatif du parlement britannique à l’intervention en Syrie – autant de remises en question de puissances autrefois mondiales contraintes d’admettre qu’elles ne le sont plus.

Dans cette ère de puissances relatives, évoluant dans un monde apolaire plus que multipolaire, la France dispose de nombreux atouts à faire valoir pour mettre en oeuvre une politique d’indépendance et d’ouverture. C’est la responsabilité du Gouvernement de dire que la mondialisation est un combat auquel aucune nation ne peut se soustraire, mais que l’on doit au contraire accepter, livrer et dominer pour en tirer le plus grand profit.

1. Concentrer notre influence politique sur la Méditerrannée, l’Afrique et le Moyen-Orient

L’une des conséquences les plus directes de ce constat général est qu’aucun pays, si puissant soit-il, ne peut aujourd’hui assurer simultanément une présence crédible sur la totalité des dossiers internationaux. Les Etats-Unis eux-mêmes n’y parviennent plus, comme en témoigne la politique de rebalancing entamée sous l’impulsion du Président Obama par la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Ce mouvement de fond, destiné à porter ses fruits sur plusieurs décennies, s’est traduit par exemple par une réallocation des moyens navals américains, qui pour 60% seront réorientés vers le Pacifique. La conséquence ultime d’une telle adaptation de notre politique serait d’accepter implicitement que dans un certain nombre de cas, la France n’a pas vocation à jouer un rôle politique majeur, mais doit au contraire concentrer ses moyens là où elle peut agir avec crédibilité en défense de ses intérêts.

Dans ce cas, comment exercer ce choix ? Il semble naturel que l’influence française se concentre par priorité, au-delà de la mer Méditerranée, sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Cette priorité répond avant tout à une évidence humaine. On estime que 235 000 Français vivent aujourd’hui en Afrique, tandis que 2,3 millions d’immigrés d’origine africaine vivent en France. Sur le plan de la continuité historique, trois « temps de l’Afrique » peuvent être distingués sous la Ve République : l’ère succédant immédiatement à la colonisation, marquée par des personnalités comme Jacques Foccart et les pratiques couramment associées à la « Françafrique » ; l’ère du détournement, marquée par l’émergence d’acteurs nouveaux (la Chine, implication croissante des Etats-Unis), mais aussi par un « complexe du colonisateur » qui a entrainé très loin le reflux de notre influence (illustrée par la réduction par 10 du nombre de nos coopérants), jusqu’à des extrémités parfois coupables. Le troisième temps, qui est en train de s’écrire, doit être celui du renouveau de nos relations, sur des bases pragmatiques et des intérêts mutuels bien compris, dégagés des arrière-pensées souvent plus propres aux Français qu’aux Africains eux-mêmes. L’équilibre entre responsabilité historique et risque d’ingérence et toujours délicat à trouver ; le développement de nos relations économiques et culturelles permet d’y tracer un sentier de prospérité.

De même, en Méditerranée, la France peut s’appuyer sur un poids économique, une présence historique et linguistique inégalés. Ce choix, s’il est en accord avec une certaine responsabilité historique contractée par exemple à l’égard d’anciennes colonies ou des communautés chrétiennes d’Orient, est aussi un pari sur l’avenir aligné avec nos intérêts économiques et politiques. L’Afrique, qui compte aujourd’hui autant d’habitants que l’Europe et les Etats-Unis, en comptera en 2100 trois fois plus, et connaît aujourd’hui, à +5% par an le taux de croissance continental le plus important au monde.

Plusieurs mesures peuvent être mises en place pour accorder une priorité de moyens au renforcement de notre action vis-à-vis de l’Afrique, de la Méditerranée et du Moyen-Orient :

  • Accorder une priorité de moyens (financiers, politiques, visas) aux pays de cette zone prioritaire, et en leur sein aux Pays Pauvres Prioritaires (les PPP, recevant l’essentiel des dons apportés par la France). Etendre cette dernière catégorie à la Syrie, au Yémen, à la Palestine. A court terme, cette politique pourra s’appuyer sur des instruments tels que l’Agence Française de Développement (AFD) ou la coopération. A plus long terme, il importera d’y disposer d’un réseau dense de culture et d’enseignement du français.
  • Consolider notre dispositif militaire français autour des bases de Côte d’Ivoire, du Gabon, de Djibouti et d’Abu Dhabi.
  • Relancer la dynamique méditerranéenne sur des bases plus concrètes et restreintes (en se limitant aux pays riverais de cette mer)
  • A titre de signal, réserver le premier déplacement présidentiel hors Europe au Nigéria, en essayant d’obtenir à cette occasion qu’il rejoigne l’Organisation Internationale de la Francophonie, avec un statut d’observateur. Ce serait un message fort de l’importance accordée à l’Afrique, et en particulier à ce pays anglophone qui, selon les prévisions, réalisera 150 Md$ de commerce bilatéral avec la Chine en 2030, sera la 13e économie du monde en 2050, et comptera près d’un milliard d’habitants en 2100.
  • A plus long terme, faire de l’association entre Paris et Ankara un axe structurant en Méditerranée.

2. Se baser sur cette crédibilité régionale forte pour maintenir une influence globale, notamment dans le champ économique

Est-ce à dire que la France se retire du monde ? Bien au contraire. En premier lieu, le fait de renforcer son action dans une zone où s’exerce plus qu’ailleurs son influence, en l’occurrence l’Afrique/Moyen-Orient, contribue à crédibiliser ses prises de position y compris sur des théâtres extérieurs à cette zone. De nombreuses entreprises étrangères s’appuient ainsi sur leur base en France pour se déployer en Afrique, et au Proche ou Moyen-Orient. On peut imaginer aussi que se développe une complémentarité stratégique avec les Etats-Unis à l’égard de l’Afrique et de l’Asie. L’objectif n’est pas ici de « contrebalancer » la puissance américaine en se rapprochant des puissances émergentes, mais bien de rechercher une complémentarité stratégique vis-à-vis de nos alliés. Il faudrait dès lors admettre le fait que la France n’ait pas un rôle de premier plan à jouer si demain une crise devait éclater par exemple en mer de Chine.

Il faut en effet acter le fait, notamment en dehors de sa zone d’influence traditionnelle, que le poids économique et stratégique de la France précède et détermine largement son influence politique. De ce fait, la dimension économique de sa présence doit constituer une priorité dans des régions en forte croissance, comme l’Asie, en s’appuyant sur certains partenariats stratégiques de long terme, tel celui qui nous lie à l’Inde.

A l’inverse, les « postures » qui ne sont étayées par aucun moyen financier, humain ou en information y sont plus contre-productives dans la mesure où elles érodent la crédibilité de notre message. La conséquence de l’émergence – ou bien souvent de la réémergence – d’un grand nombre de pays sur la scène internationale est une phase d’affirmation, souvent incompatible avec la promotion d’enceintes et de structures où l’Occident a pu trouver un temps un relais à sa puissance. A contrario, une politique basée sur le concept d’« indépendance », par ailleurs associé historiquement à la France, a toutes les chances de trouver un écho favorable.

– La Chine constitue un exemple de puissance émergente avec laquelle notre relation gagne à être développée dans un cadre d’indépendance et de respect mutuel. La Chine sait toujours gré à la France d’avoir été le premier pays occidental à la reconnaître en 1964. C’est également un exemple réussi de coopération industrielle qui s’exporte (dans le nucléaire). Il s’agit également d’un pays où l’influence peut utilement se cultiver en tandem avec le Royaume-Uni (en dehors du nucléaire, justement, sur les questions de sécurité et de défense pour lesquelles la Chine consulte en priorité le couple franco-britannique).

– D’une façon plus générale, la France doit axer en priorité son ouverture aux pays émergents « lointains » ou du « second cercle » sur les relations économiques. Plusieurs de ces pays représentent des marchés insoupçonnés (la Tanzanie compte près de 50 millions d’habitants, l’Ethiopie près de 100, l’Indonésie 250), avides d’établir une relation privilégiée avec la 5e puissance économique mondiale. Certains exemples récents, comme les succès politiques et commerciaux rencontrés en Arabie Saoudite, démontrent que les relations bilatérales, aujourd’hui plus que jamais, doivent s’établir sur une base de confiance mutuelle, d’habitudes, d’échanges, et se nourrir d’une écoute fréquente. Une bonne diplomatie sait s’abstraire des jeux à somme nulle qui lui sont imposés, ce qui nécessite une connaissance fine de la structure d’intérêts de nos interlocuteurs : elle ne s’esquisse que dans la durée.

Il est plus que jamais nécessaire de rationnaliser et systématiser le renforcement de nos relations bilatérales, en lien avec l’organisation gouvernementale. Il est dommageable que certaines initiatives et gains politiques ne soient pas cultivés dans la durée, et qu’après une parenthèse liée à la personnalité de tel ou tel ministre, un pays doive attendre 10 ou 20 ans la visite d’une nouvelle autorité française – ou que l’on assiste sur une même période à cinq visites au Maroc et aucune en Asie du Sud-Est.

Une table mutualisée des déplacements gouvernementaux pourrait être mise en place, sous la responsabilité de la cellule diplomatique de Matignon ; où l’on imaginerait par exemple qu’un CIVET (Colombie, Indonésie, Vietnam, Ethiopie, Turquie, …) soit visité et reçu au moins une fois par an par un Ministre de plein exercice, et un BRIC visité ou reçu une fois supplémentaire par le Président de la République ou le Premier Ministre. Le but n’est pas de créer un cadre rigide, mais de s’assurer d’une présence française constante et proportionnée, qui a pour bénéfice de maintenir ouverts les canaux d’écoute, et d’éviter que les services diplomatiques n’entrent dans une pratique routinière.

Cette présence doit être complétée par une stratégie de communication dans la presse locale qui dépasse le cadre de la seule visite.

3. Développer le formidable atout que constitue la Francophonie

La Francophonie doit également être refondée, car elle est un atout majeur et sous-valorisé de la France. Aujourd’hui pratiqué par 220 millions de locuteurs dans le monde, dont 100 millions en Afrique, le français est la langue qui connaîtra la croissance la plus dynamique d’ici 2050, avec la perspective d’atteindre alors 720 millions de locuteurs dont 85% seront en Afrique. La Francophonie, avec 77 Etats membres ou observateurs, est déjà la première organisation linguistique au monde devant le Commonwealth (54 membres). Le français a par ailleurs été classé en 2011 dans une étude de Bloomberg comme la 3e langue d’affaires la plus importante au monde après l’anglais et le mandarin en raison notamment du grand nombre de pays qui le pratiquent ou lui confèrent le statut de langue officielle.

Il est urgent de reprendre l’initiative politique d’un leadership français en réévaluant notre contribution à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) à 50M€ par an, en visant un doublement de son budget en cinq ans via d’autres contributions et des partenariats avec le secteur privé. Le budget de l’OIF est d’environ 80M€ – et la contribution de la France, d’environ 20 M€ jusqu’en 2012, a baissé d’un tiers à 14M€ en 2013, et pourrait s’établir à 10 M€ seulement en 2014 !

En contrepartie de ce renouvellement du financement, l’OIF doit s’ouvrir à de nouvelles missions (économiques) et de nouveaux partenaires (privés autant que souverains), en priorité en Afrique, mais aussi en Europe. Il importe que les nouveaux membres s’impliquent dans les différents forums proposés, sans se contenter d’une posture politique ou « de prestige ». Le fait que le Qatar, devenu membre de plein droit en 2013 sans passer par le statut de membre associé ou d’observateur, n’ait pas encore acquitté ses 300 k€ de frais d’inscription est édifiant…

Un Ministère délégué de la Francophonie (placé auprès du Ministre des Affaires Etrangères) renforcé aurait également vocation à s’appuyer sur nos réseaux locaux : Services de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC), Instituts français, Alliances françaises, Missions laïques françaises, en concertation avec les établissements français de l’étranger (dont la dotation pourrait être renouvelée pour les plus symboliques d’entre eux, en ne fermant pas la porte à des financements privés). Il aura pour mission de poursuivre le resserrement (sans aboutir à la fusion d’établissement aux vocations différentes) du réseau culturel français pour en faire de loin la 1ère « force de frappe culturelle » au monde (avec plus de 500 établissements, contre 300 pour l’Institut Confucius, 200 pour le British Council). L’OIF pourrait utilement se doter d’un « maillage local » en complément du réseau spécifiquement français, destiné à animer des forums régionaux.

Enfin, il serait intéressant, sur la base d’initiatives privées, de mieux structurer et animer les communautés de français à l’étranger (2,5 millions dans le monde, nous l’avons dit) en y incluant notamment les jeunes actifs expatriés, les entrepreneurs, mais aussi les patrons français d’entreprises étrangères, et les fonctionnaires français dans les institutions internationales.

Poster un commentaire