Pour une organisation territoriale plus efficace et plus lisible

1.  Articuler l’organisation territoriale autour de deux niveaux d’administration ayant chacun une taille critique suffisante : un échelon local en charge du quotidien (fusion de communes rurales ou métropole) et un échelon régional en charge de la planification (issu de la fusion des régions et des départements et du regroupement de certaines régions)

2. Simplifier l’organisation territoriale actuelle en transformant les départements en circonscriptions administratives et électives des régions sans représentation démocratique directe, en charge notamment d’appuyer les collectivités locales rurales.

3.  Renforcer la spécialisation fonctionnelle des collectivités territoriales et rationnaliser les effectifs en privilégiant le recours aux délégations de service publics, le développement de sociétés publiques locales mutualisées et la mise à dispositions des services techniques entre collectivités

4.  Organiser un débat annuel sur la régulation des dépenses publiques locales visant à ajuster la dotation globale forfaitaire versée par l’Etat en fonction du respect d’objectifs de réduction des dépenses, tout en préservant une péréquation équitable entre territoires ; améliorer la transparence des informations financières des collectivités vis-à-vis des citoyens.

5.  Assurer la concomitance des calendriers électoraux locaux au sein de chaque région (quitte à répartir les scrutins de chaque région dans le temps), avec des mandats de 5 ans, afin de donner plus de visibilité et de stabilité aux politiques locales

6.  Mettre en place des conférences régionales des investissements à la suite des élections locales afin de définir un programme d’investissements locaux cohérent et de limiter le nombre de co-financeurs, et systématiser l’évaluation socio-économique et environnementale de ces projets par une autorité indépendante visant à parfaire l’information du public

L’organisation territoriale française s’est construite progressivement par superposition de strates successives, traduisant la recherche d’un équilibre fragile entre une tradition étatique forte et une volonté de liberté locale. Au fil des réformes, le paysage administratif des collectivités a peu à peu pris forme et se caractérise aujourd’hui par des entités uniformes sur le territoire mais profondément morcelées et souvent redondantes en termes de champs d’intervention. Si le principe de la décentralisation doit être maintenu pour garantir souplesse, capacité d’expérimentation et d’adaptation des territoires dans leur diversité, l’organisation territoriale actuelle ne peut s’exonérer d’un droit d’inventaire.

Force est en effet de constater qu’elle manque de transparence et de lisibilité pour les citoyens, qui peinent à comprendre le rôle et le périmètre de chaque collectivité. Communes, intercommunalités, départements, régions constituent autant de couches successives exerçant des missions similaires, ce qui conduit à un enchevêtrement des compétences complexe. Les Français sont aujourd’hui perdus face à cet empilement d’entités qui contribue à la dilution des responsabilités, à l’affaiblissement de la crédibilité de l’action locale et à l’augmentation des dépenses publiques.

Comment expliquer par ailleurs que la France compte près de 36 680 communes pour 65 millions d’habitants, soit 40% du total en Union européenne, contre seulement 8500 en Allemagne pour 81,5 millions d’habitants et 8101 en Italie pour 61 millions d’habitants? La population médiane d’une commune française est ainsi de 423 habitants contre 2300 en Italie et 11 000 en Belgique, et 31 500 communes ont moins de 2000 habitants. Cette question nous ramène à l’efficacité de l’organisation territoriale, enjeu au combien crucial dans le contexte actuel de contraintes budgétaire. Les dépenses locales représentent en effet 20% du total des dépenses publiques et ont augmenté plus vite que la richesse nationale, leur part représentant aujourd’hui près de 12% du PIB soit environ 242 milliards d’euros. S’il ne faut pas entretenir le mythe de la gabegie des collectivités dans leur ensemble, ces augmentations de dépenses correspondant en grande partie aux transferts de compétences de l’Etat liés aux différentes lois de décentralisation, les dépenses locales ont tout de même significativement augmenté à périmètre constant. Cette situation est principalement le fait du secteur communal, qui n’a pas su tirer partie de l’intercommunalité pour limiter ses dépenses, et de la superposition des champs d’intervention entre collectivités, génératrice de doublons et de surcoûts importants.

Outre la recherche nécessaire d’une meilleure lisibilité, qui constitue un impératif démocratique, la refonte de l’organisation territoriale doit également viser à clarifier les rôles et responsabiliser les acteurs locaux afin qu’ils puissent contribuer à rendre les territoires plus innovants et créatifs. Les collectivités territoriales prennent en effet en charge près de 75% des investissements publics et constituent donc des vecteurs incontournables du développement des territoires.

Afin de simplifier le mille-feuille territorial, la première grande mesure consiste à bâtir des entités de taille critique suffisante, aptes à mettre en œuvre des politiques d’aménagement ambitieuses et efficientes. L’organisation territoriale doit ainsi progressivement s’articuler autour de deux niveaux d’administration :

– l’échelon du bassin de vie (intercommunalité, fusion de communes ou métropole), celui du temps court, en charge de l’ensemble de l’action locale de proximité (plans locaux d’urbanisme et d’habitat, transports urbains, culture et tourisme, action sociale, gestion des eaux et des déchets, gestion des voiries, police de circulation).

– l’échelon régional, celui du temps long, en charge de la planification générale (élaboration des schémas directeurs concernant l’aménagement, les transports, l’environnement, l’énergie), de la politique de développement économique (formation professionnelle, apprentissage, pôles de compétitivités et universités), et du financement des grands projets d’investissement ;

En ce qui concerne l’échelon du bassin de vie ou le « bloc communal », le regroupement des compétences à un échelon d’une taille critique suffisante ne doit pas mésestimer les fortes disparités entre des zones urbaines portées par des grandes agglomérations motrices et des zones rurales plus fragmentées sans chef de fil clairement identifié. Un régime différencié doit dès lors être envisagé :

– la création rapide des métropoles pour les grandes agglomérations françaises supérieures à 200 000 habitants, afin de constituer des pôles urbains dynamiques ayant vocation à récupérer les attributions des départements et à constituer un appui fort pour les territoires limitrophes. Si le Grand Lyon a récemment ouvert cette voie, l’un des défis majeurs concerne la création du Grand Paris politique qui devrait logiquement accompagner le projet actuel de transport. Ce dernier démontre bien que l’urbanisme et les déplacements au sein de la capitale ne sont pas enfermés dans l’enceinte étriquée du périphérique, mais concernent au contraire toute l’aire urbaine francilienne. Le regroupement de la ville de Paris et des Conseils Généraux de petite couronne revêt donc un enjeu crucial pour que la capitale puisse sortir de la sclérose institutionnelle actuelle et peser à l’égal des autres mégalopoles mondiales dans la compétition internationale. La même logique prévaut pour l’ensemble des grandes villes françaises qui doivent constituer les pivots du développement des territoires ;

La création à moyen-terme dans les zones plus rurales d’intercommunalités fortes ou de fusion de communes situées dans un même bassin de vie et décidant de faire remonter les décisions politiques à ce niveau de « bloc communal ». Il faut par ailleurs sortir du dogme des intercommunalités comme seul horizon possible, ces dernières ayant le plus souvent contribué à un surcroît de complexité sans pour autant générer de baisse des dépenses substantielle. La fusion de communes doit ainsi être une option à privilégier, d’une part car les Français sont très attachés à la commune qui constitue un repère fort comme unité de base de la démocratie locale, et d’autre part car elle permettrait de réaliser un regroupement cohérent et clair à l’échelle d’un bassin de vie, favorisant la concentration des moyens et les économies de fonctionnement. Dans le cas où l’intercommunalité serait toutefois choisie, il est impératif d’aller au bout de la logique en faisant de la commune une circonscription élective de l’intercommunalité dont le maire aurait le rôle de principal officier d’état civil et de contact de terrain avec la population. Cette évolution doit permettre à chaque entité du « bloc communal » d’atteindre une taille critique suffisante (au moins 10 000 habitants) et de se situer ainsi dans la moyenne européenne.

Le renforcement de l’échelon régional passe sans doute par un regroupement des régions afin qu’elles puissent se rapprocher des Länder allemands et bénéficier d’une image de marque suffisante. Le nombre de régions pourrait ainsi être ramené entre 15 et 20 au lieu des 27 régions actuelles en opérant certains regroupements (Haute et Basse Normandie, Auvergne et Limousin, Bretagne et Pays de la Loire, Bourgogne et Franche-Comté, Alsace et Lorraine, Picardie et Nord-Pas-de-Calais).

Dans la logique de cette nouvelle articulation territoriale, les départements auraient vocation à devenir progressivement des circonscriptions administratives des régions, sans représentation démocratique directe, assurant un appui aux territoires ruraux pour l’action sociale et la gestion d’équipements publics et d’infrastructures telles que les routes. Les attributions des départements dans les zones urbaines seraient quant à elles assurées par les métropoles. Afin de garder une proximité entre élus territoriaux et électeurs, les départements pourraient également demeurer les circonscriptions électives des élections régionales. Ainsi, l’objectif de fusion des régions et des départements serait réalisé en douceur sans la suppression des départements auxquels nos concitoyens continuent à être attachés.

L’Etat doit enfin tirer les conclusions de la décentralisation en abandonnant certains champs de compétences et en se concentrant sur ses missions régaliennes. La suppression à court-terme des sous-préfectures paraît inévitable, même si certaines pourraient être conservées dans des zones rurales afin d’y maintenir la présence de l’Etat et certains services publics de proximité. L’action administrative de l’Etat doit être fortement réduite au niveau départemental en se restreignant uniquement à l’action régalienne du préfet. Elle doit en revanche pouvoir être maintenue au niveau régional en s’appuyant sur les préfets de Région, devenus de véritables directeurs régionaux de l’administration, qui constitueraient les principaux relais de l’action territoriale et piloteraient des directions régionales unifiées.

Dans ce schéma territorial, la clause de compétence générale, permettant de traiter l’ensemble des champs d’intervention de l’action publique, serait réservée uniquement à l’Etat au titre de l’intérêt général, chaque collectivité locale ayant vocation à se spécialiser sur son champ de compétences. Si la mise en place de cette nouvelle articulation devrait permettre d’éviter les doublons et les chevauchements de compétences, d’autres mesures pourraient être imaginées afin de rationaliser les effectifs de la fonction publique territoriale. Les collectivités sont en effet logiquement incitées à s’entourer de services techniques pléthoriques afin de faire face à des sollicitations multiples et cycliques dans des domaines de compétences variés. Si le recours au privé via des marchés publics ou le développement de délégations de services publics et de mandats de maîtrise d’ouvrage doivent être envisagés et encouragés, il s’avère dans certains cas complexe et pas toujours adapté aux besoins des collectivités. Une solution serait donc également de développer des sociétés publiques locales mutualisées entre collectivités ou d’inciter certaines grandes collectivités à mettre à disposition leurs équipes de services techniques à des collectivités de taille plus modeste, moyennant une compensation financière. Enfin, l’Etat pourrait s’appuyer sur l’échelon régional pour expérimenter certaines politiques publiques et les évaluer avant de les généraliser à l’ensemble du territoire.

Compte-tenu de l’importance de la dépense publique locale et pour mieux éclairer les élus et les citoyens, il semble enfin essentiel qu’un débat soit organisé annuellement au Parlement pour évoquer les enjeux de la maîtrise de ces dépenses, à l’image de la discussion sur l’ONDAM (objectif national de dépense d’assurance maladie). L’attribution de la dotation globale forfaitaire de l’Etat découlerait de ces débats et serait modulée en fonction du respect d’objectifs assignés (regroupement des collectivités, diminution de leur nombre, maîtrise des dépenses) afin de récompenser l’efficacité de gestion, tout en assurant une péréquation équitable entre territoires. Ce débat serait également l’occasion de dépoussiérer la fiscalité locale qui est extrêmement complexe et doit être revue pour permettre une meilleure compréhension par les citoyens. Ces derniers doivent enfin bénéficier d’une plus grande transparence sur les informations financières des collectivités territoriales, grâce à des moyens de communication comme l’open data, afin de leur permettre une utilisation de ces données à des fins d’analyse et de comparaison, pour mieux apprécier la qualité de la gestion locale.

Une grande réforme territoriale ne saurait par ailleurs être engagée sans traiter le sujet délicat de la représentativité et des élections. Le système actuel, avec des élections locales trop fréquentes et étalées dans le temps, est en effet source d’une montée de l’abstentionnisme et paralyse les initiatives, en raison de la multiplication des périodes de réserve et des campagnes politiques. Il faut donc privilégier la concomitance des calendriers électoraux locaux au sein de chaque région (quitte à répartir dans le temps les élections locales des différentes régions, sur le modèle des Länder allemands) sur la base d’élections au scrutin de liste proportionnel à 2 tours avec prime au majoritaire et mandats de même durée (5 ans) afin d’assurer une stabilité des exécutifs. L’élection des conseillers communaux et des conseillers territoriaux (issus de la fusion des conseillers régionaux et départementaux) se tiendrait le même jour et constituerait une opportunité pour ouvrir un grand débat médiatisé sur les enjeux locaux. Concernant les élections communales, les conseillers communaux et communautaires seraient désignés sur une seule et même liste, les premiers ayant vocation à siéger dans les deux instances tandis que les suivants siègeraient uniquement au conseil municipal, à l’image de ce qui est fait pour Paris, Lyon et Marseille avec le système d’arrondissements.

La concomitance des calendriers électoraux locaux et la limitation de la clause de compétence générale permettraient enfin de donner plus de stabilité aux programmes d’investissement. Les partis politiques seraient incités pendant la période de campagne électorale à développer des réflexions communes entre les représentants des différents échelons sur les projets prioritaires à financer. A l’issue des élections locales, serait réunie, sous l’égide du Préfet de Région, une conférence régionale des programmes d’investissements, comprenant différentes sous-commissions thématiques et composée d’élus territoriaux et locaux, qui statuerait sur les projets prioritaires de la mandature. La spécialisation fonctionnelle des collectivités territoriales devrait par ailleurs logiquement conduire à une restriction du nombre de co-financeurs publics permettant d’éviter les financements croisés des projets, source de montages complexes et précaires. Toujours dans le but d’améliorer les projets d’investissement des collectivités, l’autorité environnementale, instance publique indépendante rendue nécessaire par les directives européennes et mise en place suite au Grenelle de l’environnement, pourrait voir son rôle davantage centré sur l’analyse socio-économique des projets. Cette mesure ne contraindrait en rien les décideurs locaux puisque l’avis de cette instance est d’ores-et-déjà rendu obligatoire pour les projets d’envergure et vise seulement à donner un avis sur la qualité des études environnementales et la transparence des informations données au public, sans porter sur l’opportunité des investissements. Elle permettrait en revanche d’apporter une expertise indépendante complémentaire pour mieux informer les citoyens et inciter les collectivités à mener des analyses socio-économiques rigoureuses et complètes.

Si le constat de lourdeur et d’essoufflement de l’organisation territoriale appelle une réforme d’envergure visant à assurer une meilleure lisibilité et efficacité de l’action locale, il ne faut pas pour autant mésestimer les difficultés qui ont jusqu’à présent fait obstacle à toute refonte globale du système. La France n’est pas une page blanche et le paysage administratif local est le résultat politique de plusieurs siècles d’histoire qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main avec une approche purement technocratique. La réforme des collectivités doit ainsi s’appuyer sur les bases issues de la construction passée, tout en assumant des propositions innovantes, seules susceptibles de répondre aux enjeux de demain. C’est pourquoi l’organisation proposée autour des régions et du bloc communal vise à simplifier le mille-feuille territorial, sans pour autant supprimer les communes et les départements qui conservent une identité forte pour les Français. Une telle réforme est certes ambitieuse et risque de soulever des résistances fortes dans un pays qui compte près de 570 000 mandats d’élus locaux. Elle doit toutefois impérativement être menée à terme pour baisser le poids des dépenses publiques locales et donner plus de lisibilité et de vitalité à notre organisation territoriale, quitte à recourir au référendum afin de donner la parole au peuple sur un sujet si fondamental pour notre pays. 

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