Refonder la politique de l’Etat actionnaire

1.  Création d’un établissement public dénommé France Investissement regroupant l’Agence des Participations de l’Etat, BPI-investissement (ex-FSI) et disposant de l’expertise du Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective.

2.  Encourager les postes longs (4 ans) pour gérer des participations de l’Etat et permettre plus facilement qu’aujourd’hui le recrutement de personnes spécialisées issues du secteur privé.

3.  Mise au point par le gouvernement d’un document de stratégie actionnariale présenté au Parlement pour vote au cours de chaque mandature.

4.  Définition d’une part minimale des produits de cession et des dividendes allant au désendettement de l’Etat, associée à une stratégie de désengagement progressif des participations historiques de l’Etat (en évitant de vendre à “vil prix”).

5.  Vote du Parlement pour les cessions de participations de l’Etat les plus importantes (au-delà d’un seuil à définir) et validation par la représentation nationale de l’affectation des produits de cession.

Dans un contexte international marqué depuis quelques années par la croissance des supports d’investissement souverain, la France accuse un retard certain dans la structuration de son dispositif en la matière.

D’une façon générale, on peut observer que les supports d’investissement souverains croissent plus rapidement que la capitalisation du marché mondial (respectivement +7% et – 4% entre 2006 et 2010). Des pays comparables à la France consacrent des efforts financiers très conséquents à un actionnariat public dynamique : la Norvège, le Brésil, l’Allemagne gèrent par exemple un portefeuille d’entreprises dont le CA total dépasse les 150 milliards d’euros.

Or, en France, l’Etat est par nature un acteur pertinent pour jouer un rôle clé. Il peut et doit fédérer les énergies. Instance de coordination et d’organisation, il devrait assumer une vocation « d’entraîneur de l’équipe France » mêlant travaux d’anticipation (définition de la stratégie à long terme) et mise en relation et en cohérence des différentes actions. En plus d’être un « Etat-stratège », il doit en effet exercer la fonction « d’Etat-partenaire » attentif aux préoccupations de tous les acteurs pour assurer la convergence de leurs stratégies particulières. Outre la définition des axes stratégiques, ce partenariat passe également par les financements qu’il est en mesure d’octroyer aux secteurs prioritaires.

Sur le plan théorique, l’Etat doit résoudre les dilemmes posés par la multiplicité de ses vocations : il est par exemple évident qu’Etat-régulateur et Etat-actionnaire poursuivent des buts tout à fait différents, les objectifs de régulations de la politique publique du premier n’étant pas forcément compatibles avec la préoccupation des intérêts sociaux des entreprises au cœur des préoccupations du second. Pour compliquer encore l’équation, le rôle de l’Etat-client vient parfois percuter de plein fouet les initiatives qu’il prend au titre de ses autres rôles. Un des grands enjeux de la stratégie de l’Etat-actionnaire est donc d’être complémentaire des autres types d’intervention publique : aides à l’export, commande publique, fiscalité, soutien de l’offre, effort de R et D,…

Au-delà des sommes considérables qu’il est en mesure de mobiliser, l’Etat détient également un formidable capital « immatériel » pour bâtir une stratégie actionnariale cohérente et informée : outre le nombre et la qualité des experts techniques de filières répartis au sein des différents ministères, les multiples capteurs d’informations et organismes de prospective de l’Etat (Commissariat générale à la stratégie et à la prospective, INSEE, Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services,…) devraient permettre de bénéficier d’analyse prospective de premier ordre.

Malgré tout, ces ressources sont largement sous-exploitées. L’Etat ne dispose pas d’une stratégie de long terme assumée et publique qui ferait de lui un actionnaire crédible et par conséquent attendu par les entreprises. Les moyens de prospective et d’intervention dont il dispose sont éclatés entre des entités très diverses. De ce point de vue, il est permis de penser que la création de la Banque publique d’investissement annoncée à son de trompe dès le début du quinquennat ajoute un acteur de plus dans un éco-système qui se caractérise déjà par sa complexité : Agence des participations de l’Etat (APE) appartenant au ministère de l’Economie et des finances, Fond stratégique d’investissement (FSI), commissariat général à l’investissement, Caisse des dépôts et consignations,…

La BPI a vocation à rationaliser une partie des dispositifs existant de soutien au financement des PME. L’entité centrale de la BPI (BPI groupe) est détenue pour moitié par l’Etat et pour moitié par la CDC, et est subdivisée en deux filiales : BPI investissement, qui rassemble le FSI et CDC-entreprises, et BPI financement innovation, qui reprend Oséo SA. On peut néanmoins s’interroger sur l’efficacité du schéma de gouvernance retenu, et de la pertinence de rassembler au sein d’une même entité bénéficiant du statut de compagnie financière des dispositifs intervenant à la fois en crédit et en fonds propres.

Il apparaît plus pertinent de regrouper, au sein d’un même établissement qui pourrait être baptisé « France Investissement », l’Agence des Participations de l’Etat et l’ancien Fonds Stratégique d’Investissement, auquel pourrait être mis à disposition le Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective. Cet établissement serait chargé de mettre en œuvre la stratégie actionnariale de l’Etat validée par le Parlement. La direction de cet établissement public serait assurée par un Directeur Général nommé par le Président de la République sur proposition du Premier Ministre, après avis favorable de la majorité des Commissions des Finances et des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale et du Sénat ; sa gouvernance serait similaire à celle de la Caisse des Dépôts et des Consignations.

Un tel établissement a besoin d’un minimum de continuité pour acquérir une connaissance fine d’un secteur et établir des relations de confiance avec les autres actionnaires, toutes conditions sine qua non de l’efficacité de l’action de l’Etat en la matière. Cela passe notamment par des durées en poste plus longues (4 ans plutôt que 3 voire 2 ans) et par la remise en cause de règles rigides de gestion induite par le statut de la fonction publique qui ne donne pas aux dirigeants de l’actuelle APE tous les moyens propres à recruter des profils très expérimentés en provenance du secteur privé dont la connaissance du métier d’actionnaire serait particulièrement précieuse. Le résultat global est que les hauts-fonctionnaires chargés de concourir à la définition de la stratégie de l’Etat-actionnaire ou de l’incarner dans les conseils d’administration sont bien souvent mal armés face aux équipes dirigeantes de ces entreprises ou aux autres administrateurs dont ils n’ont ni l’ancienneté ni la maîtrise technique.

L’Agence des participations de l’Etat gère aujourd’hui 60 milliards d’euros environ correspondants à un « stock » de participations dans des entreprises cotées appartenant aux secteurs d’avenir … des années 30 et 60 ! (SNCF, RATP, EDF,…). Elle est donc positionnée dans un rôle quasi « notarial » de gestion d’un stock historique en faisant prévaloir une logique de participation majoritaire. A l’heure où les secteurs industriels de l’économie nationale évoluent profondément (montée en puissance par exemple des secteurs aéronautiques ou des logiciels), il est légitime de s’étonner que l’investissement public reste figé dans un cadre de priorités définies il y a plus de quarante ans…

On observe par ailleurs que la doctrine de l’APE en matière de stratégie d’intervention au sein des entreprises semble largement perfectible. C’est notamment le cas en matière de fixation du seuil de participations à détenir pour s’assurer du contrôle d’une entreprise : faut-il détenir 80% du capital d’une entreprise et ainsi immobiliser des sommes considérables qui pourraient être utilisées ailleurs alors même qu’un seuil plus bas assorti de dispositifs spécifiques (type « golden share ») suffiraient ?

Le FSI, quant à lui, prend des participations minoritaires et à court terme dans le financement de certaines PME qu’il estime relever de secteurs stratégiques.

Chacun de ces organismes a ainsi sa propre vision des secteurs stratégiques, de même que sa propre doctrine d’intervention. Outre la dégradation de l’efficacité économique qui en résulte, il convient de noter également que la doctrine de l’Etat actionnaire « perçue » par les entreprises ne se caractérise pas par sa clarté. En effet, l’Etat se présente comme un partenaire de long terme alors même que certaines de ses interventions sont parfois essentiellement motivées par des considérations opportunistes de court terme. Le lien de confiance qui devrait fonder la relation actionnariale s’en trouve donc considérablement fragilisé.

La mise au point par le gouvernement d’un document de stratégie actionnariale articulée avec les grands objectifs de politique économique et présenté au Parlement pour vote constituerait une avancée significative. Ce document fixerait notamment une part minimale des produits de cession et des dividendes tirés des participations publiques allant au désendettement de l’Etat. Il définirait une stratégie de désengagement progressif des participations historiques de l’Etat qui ne sont pas justifiées par des raisons stratégiques en évitant le risque de vente à “vil prix” (exemple : décision de cession par principe mais optimisation sur une durée de 10 à 20 ans pour tirer le maximum de revenu).

Par ailleurs, un vote du Parlement pour les cessions de participations de l’Etat les plus importantes (au-delà d’un montant à définir) et la validation de l’affectation des produits de cession correspondant permettrait de redonner voix au chapitre à la représentation nationale sur ces sujets stratégiques.

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de la faiblessse des résultats obtenus. La fondation IFRAP relevait en 2012 (« L’Etat stratège contre l’Etat actionnaire » par Philippe François et Simon Bouteloup) que « depuis 2003, les prises de participations de l’APE n’ont cessé de concerner les anciens monopoles publics ultra-endettés (France Telecom, Gaz de France, EDF, ADP, Air France, Areva, La Poste) ». Il en résulte donc que loin d’engranger des dividendes destinés à contribuer à le désendetter, l’Etat actionnaire finance des entreprises sur-endettées ! Outre cette « efficacité économique » douteuse, le manque de liquidité du portefeuille de l’Etat du à sa segmentation entre différents acteurs et à une stratégie de participation « fossilisée » sur les participations historiques constitue un obstacle de taille à l’amélioration de la situation.

Une révision profonde de la politique de l’Etat actionnaire est donc aujourd’hui nécessaire, tant sur un plan industriel que de finances publiques. Des initiatives qui vont dans le bon sens sont actuellement menées par le Commissaire aux Participations de l’Etat, les propositions de cet article ont vocation à les encourager et à les compléter.

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