1. Faire passer l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans d’ici 2023
2. Mettre fin à tous les régimes d’exception en affiliant progressivement l’ensemble des actifs (salariés des secteurs privé et public et non-salariés) à un régime de retraite unique
3. Passer à un régime unique par points, à cotisation définie, assurant par construction l’équilibre financier du système de retraite sans augmenter le coût du travail
4. Développer les retraites complémentaires en les confiant à des organismes privés et en simplifiant les avantages fiscaux qui y sont associés
5. Pérenniser le système de « minimum vieillesse » financé par la CSG mais revenir sur le dispositif de pénibilité qui s’inscrit à l’opposé de la démarche de simplification pour les entreprises et qui va engendrer une nouvelle machinerie bureaucratique
La réforme des retraites est le serpent de mer de la vie politique française. D’un côté la droite accumule les réformes (1993, 2003, 2007, 2010) en prétendant à chaque fois avoir définitivement réglé le problème et de l’autre la gauche les conteste dans l’opposition et n’ose rien faire une fois au pouvoir, comme l’a rappelé la non-réforme du gouvernement Ayrault de 2013.
Malgré les réformes, le système de retraite actuel reste déficitaire : sans une forte réduction supplémentaire des droits à retraite, il sera incapable de franchir le cap du papy-boom entre 2015 et 2050, alors même que les pensions sont déjà relativement faibles (en moyenne 1 256 euros par mois en 2011 tous régimes confondus, et 665 euros/mois pour les retraites de base des salariés du privé hors complémentaires Agirc-Arrco) et que les taux de cotisation salariés et employeurs sont déjà élevés. Si l’on ajoute la complexité et l’injustice propres à ce système, on comprend qu’une réforme systémique des retraites ne peut plus être différée et fait partie des priorités pour moderniser notre modèle social.
Le système de retraite français est effroyablement complexe
Il existe en France quarante caisses de retraite distinctes, et une trentaine de régimes de retraite différents. La multiplication des caisses engendrent des frais de gestion exorbitants (6 milliards d’euros) que les économies d’échelle et l’efficience du secteur privé pourraient ramener à 3 Md€. Les règles de la retraite, en termes de calcul de la pension et d’âge de départ, sont parmi les plus compliquées au monde. En effet, le calcul de la retraite de base prend en compte deux âges de référence (l’âge d’ouverture des droits de 62 ans et l’âge d’annulation de la décote de 67 ans), le nombre de trimestres cotisés (trimestres au cours desquels une rémunération d’au moins 150 SMIC horaire a été perçue) et validés à titre gracieux (maternité, certaines périodes de chômage, etc.), et le salaire moyen des 25 meilleures années.
L’assuré est obligé de déposer deux dossiers distincts auprès du régime de base (CNAV TS) et du régime complémentaire (Arrco et éventuellement Agirc), et doit de plus les dédoubler lorsque des périodes de travail ont été effectuées sous plusieurs statuts (salariat, fonction publique, professions libérales, indépendants, etc.). Il pourra ainsi percevoir simultanément six pensions de retraite différentes, par exemple.
Si des paramètres récompensent et incitent au prolongement de l’activité, ils sont difficilement compréhensibles : d’une part la décote (réduction de la pension lorsque le nombre de trimestres validés est inférieur à la durée de référence de la génération, par exemple 166 trimestres pour la génération née en 1956 et que l’assuré part en retraite avant 67 ans) et la surcote (situation inverse), d’autre part le coefficient de proratisation moins connu (la pension est proportionnelle au ratio nombre de trimestres validés / durée de référence). Enfin, lorsqu’une personne reprend un emploi après avoir liquidé une première retraite (situation de « cumul emploi-retraite »), des nouvelles cotisations vieillesse lui sont prélevées sans être créatrices de nouveau droit retraite, et sa pension est écrêtée (dans toutes situations depuis la réforme de 2013, hors militaires). Tout le contraire de la récompense de l’effort !
Le système de retraite français est injuste
La dizaine de régimes spéciaux, créés à la Libération, existent toujours. Les deux principaux sont celui des fonctionnaires de l’État et celui des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Des règles très différentes rendent les comparaisons difficiles avec le privé. D’un côté, taux de liquidation de 75%, mais sans prise en compte des primes dans le calcul, de l’autre, taux de 50% pour le régime de base mais complété par les pensions Agirc-Arrco. Il apparaît cependant que les pensions du public sont en moyenne plus élevées que celles du privé (1800 euros/mois pour les fonctionnaires civils de l’État, 1200 euros pour les deux autres fonctions publiques) et l’entrée en retraite légèrement plus précoce.
Les salariés du privé connaissent généralement des périodes de chômage qui amputent le montant de leur pension de retraite, alors que les fonctionnaires n’ont pas ce souci. En outre, certains emplois (« les catégories actives », par exemple policiers, infirmiers, etc.) ouvrent droit à un départ anticipé dès 52 ou 57 ans, ce qui peut se justifier dans la plupart des cas, mais seulement si la pension est adaptée afin d’inciter à la reprise d’un autre emploi. Les « bonifications » des catégories actives, qui neutralisent 5 ans ou 10 ans de « non-travail », doivent donc être supprimées.
Les autres régimes spéciaux de retraite donnent lieu à des conditions autrement plus avantageuses, que rien ne justifie. Ainsi, les métiers concernés, autrefois pénibles, ne le sont plus (cheminot de la SNCF, etc.). L’ensemble de ces régimes ouvrent droit à des départs précoces et à pension élevée, en ne prélevant sur leurs agents que de faibles cotisations, et bénéficient de subventions considérables de la part de l’État (7 Md€ en 2012), ainsi que de financements masqués (« compensation démographique » prélevée sur le régime général, CTA (« contribution tarifaire d’acheminement, une taxe sur l’électricité qui accroît les retraites des agents d’EDF,…). Si la réforme des régimes spéciaux de 2007 a fait convergé (d’ici à 2024) une partie des règles de calcul sur celles déjà généreuses de la fonction publique, elle n’a probablement pas été rentable en raison de considérables compensations salariales accordées à l’occasion.
Plus fondamentalement, l’existence-même de régimes différents engendre une injustice entre les mono-pensionnés et les poly-pensionnés (les poly-pensionnés sont les assurés qui perçoivent une retraite de deux régimes différents, par exemple de la CNAV TS (salariés) et du RSI (travailleurs indépendants)). En simplifiant, les poly-pensionnés sont généralement défavorisés, puisque leurs retraites sont calculées sur leurs 25 meilleures années de chaque régime plutôt que les 25 meilleures années de l’ensemble de la carrière.
Une réforme systémique de notre régime de retraite est indispensable
Afin de rétablir l’équilibre financier de notre système de retraite à moyen terme sans peser sur le coût du travail, et de le rendre plus équitable et plus lisible, une réforme systémique s’impose. Elle consiste à basculer, d’ici 2023, l’ensemble des salariés (du public et du privé) et des non-salariés dans un régime unique par points.
Concrètement, les générations 1958 et précédentes resteraient soumises aux règles actuelles mais avec un recul progressif de l’âge minimum de départ en retraite, de manière à ce que celui-ci atteigne 65 ans en 2023. Un tel ajustement, qui ne ferait que revenir à l’âge légal d’avant 1981 dans un contexte où l’espérance de vie a augmenté de plus de 5 ans dans notre pays sur cette période, permettrait de dégager des ressources financières très importantes pour le régime de retraite, à même d’annuler son déficit dès 2020 et de générer des excédents au-delà. Il permet, surtout, de faire participer les personnes proches de la retraite aux efforts. Les efforts ne doivent pas concerner exclusivement les plus jeunes générations, déjà pénalisées par un chômage élevé et une dette incontrôlée.
Les générations nées après 1958 seraient, quant à elle, affiliées à un nouveau régime de retraite, unique et à points, qui pourrait être pleinement opérationnel en 2023. Une période de transition est nécessaire pour convertir les droits acquis dans les régimes actuels en « points ». Outre les économies de gestion (de l’ordre de 3 Md€), ce système introduira de la transparence et fera transparaître les injustices liées aux régimes spéciaux que l’opinion publique n’acceptera plus de tolérer.
Ce régime par points serait un système à cotisations définies et non plus à prestation définies : les salariés accumulent des points en fonction de leurs cotisations pendant leur carrière. À la liquidation des droits, les points sont convertis en pension de retraite selon l’espérance de vie, de manière actuariellement neutre. Un tel système laissera à chaque salarié la liberté d’arbitrer entre partir plus tôt ou toucher une meilleure retraite, sans crainte d’être spolié par le système. En fonction des préférences individuelles, il conduira sans doute à une augmentation de l’âge de départ effectif à la retraite : l’élément le plus important est qu’il sera équilibré financièrement, par construction. La France évitera ainsi d’accumuler une absurde « dette sociale ».
Ce régime unique par points absorbera également les régimes complémentaires obligatoires (pourquoi avoir deux régimes différents si les deux sont obligatoires !), que les partenaires sociaux n’ont manifestement pas réussi à gérer de manière responsable en amont du papy-boom, et avec des coûts de gestion de 1,4 Md€ par an pour l’Agirc-Arrco. En revanche, de nouvelles retraites complémentaires en capitalisation, totalement privées, pourraient se développer à l’initiative des salariés, dans une logique de liberté et de responsabilité. Les Français pratiquent d’ailleurs déjà la retraite par capitalisation, par leur épargne individuelle financière et immobilière. Dans ce domaine, il est nécessaire de simplifier des dispositifs actuels (Perp et Perco) en créant un dispositif d’incitation fiscale unique, par exemple sous la forme d’une exonération d’impôt sur le revenu pour un tiers des revenus épargnés, avec une contrainte de blocage de l’argent jusqu’à la retraite. Cette épargne sera gérée par le secteur privé, par des organismes agréés par l’État (les épargnants devront être avertis des risques et un petit nombre de règles de gestion imposeront, en choix par défaut, la transition progressive de l’épargne vers des produits financiers de moins en moins risqués à l’approche de la retraite).
Enfin, le dispositif de « minimum vieillesse » (l’ASPA) sera conservé, avec un financement basé sur la fiscalité (CSG) et un âge minimum porté à 67 ans. Il sera, en revanche, mis fin au système de pénibilité mis en place par le gouvernement Ayrault en 2013. En effet, l’approche jacobine de la réforme Ayrault, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2015, apporte une couche supplémentaire de bureaucratie et des lourdeurs de gestion pour les entreprises et s’inscrit en faux avec le discours actuel de simplification. Alors que les grandes entreprises développeront des stratégies d’évitement (rotation des salariés sur les postes exposés chacun à un des « facteurs de pénibilité », appareillage de protection permettant de passer juste sous les seuils, délocalisations, etc.), les PME risquent d’être noyées. Fondamentalement, la question de la pénibilité n’a pas vocation à être traitée au moment du départ à la retraite mais pendant la carrière, en réduisant la pénibilité les postes de travail et, si nécessaire, en réduisant le temps de travail pour les tâches les plus pénibles, ainsi qu’en associant contrainte et primes de risques. Dans un marché du travail libre, ceci se produit naturellement avec la négociation salariale.
Ce projet de réforme des retraites est très audacieux mais il a pourtant été mené à bien en Suède ou en Italie. Il permettrait de réformer, en profondeur et dans l’équité, un pan essentiel de notre modèle social et, surtout, de résoudre durablement le lancinant problème des retraites en France. Nos concitoyens sont en effet las des réformes à répétition sur ce sujet, qui ne font qu’irriter le corps social et donner lieu à des jeux de rôles au sein de la classe politique entre majorité et opposition.