Repenser le rôle du Premier Ministre dans le quinquennat

1.  Faire du Président de la République le vrai chef de la majorité et du Premier Ministre un “super-Ministre” en charge de l’interministériel et de la réforme de l’action publique

2.  Rattacher le Ministre délégué au budget au Premier Ministre, qui serait en charge des projets de loi de finances avec le Ministre en charge de l’Economie

3.  Rattacher le Ministre délégué aux affaires européennes au Premier Ministre

4.  Rattacher les Ministres délégués à la fonction publique et aux collectivités locales au Premier Ministre

5.  Créer un Ministre délégué à la simplification administrative, en charge de présenter chaque année une loi de simplification, au même moment que la présentation du budget

6.  Faire des Préfets de Région des Directeurs Régionaux de l’Administration, relevant directement du Premier Ministre et n’appartenant plus nécessairement au corps préfectoral

A quoi sert le Premier Ministre hors périodes de cohabitation ? Cette question se pose avec acuité depuis la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral décidée en commun par Jacques Chirac et Lionel Jospin. La forte différence de légitimité entre un Président de la République élu au suffrage universel et un Premier Ministre nommé rend difficile, pour ce dernier, l’incarnation du rôle de « chef de la majorité ».

Soit le Premier Ministre prend réellement en charge la politique du gouvernement (cas de Dominique de Villepin à la fin du deuxième quinquennat de Jacques Chirac) et on reproche alors au Président de ne pas prendre ses responsabilités et de se désintéresser des affaires du pays, soit il ne fait qu’appliquer une politique qu’il ne détermine pas lui-même et on reproche alors à l’Elysée de concentrer abusivement tous les pouvoirs.

Il est clair, par ailleurs, que le Président de la République est le véritable chef de la majorité et qu’il ne doit donc pas hésiter à monter en première ligne sur les grands arbitrages politiques (entre ses ministres et entre les forces politiques de la majorité) ou à recevoir périodiquement les parlementaires et les forces politiques de la majorité. En tant que chef de la Nation, le Président de la République se doit également de dépasser son propre camp, en particulier sur les sujets de politique extérieure (intervention militaire) et de sécurité intérieure. C’est à lui de recevoir les principaux chefs de partis dans ces cas de figure.

Dans ces conditions, certains proposent la suppression du poste de Premier Ministre, solution peu réaliste dès lors que le risque de cohabitation n’est pas écarté. Il est en tous cas nécessaire de repenser le rôle du Premier Ministre avec le quinquennat.

S’il n’est plus le chef de la majorité (et donc d’une certaine manière le chef du gouvernement), le Premier ministre a vocation à devenir le « Premier parmi les Ministres » (primus inter pares) en étant en charge de deux sujets majeurs : l’interministériel et la réforme de l’action publique, qui doit être le grand chantier du gouvernement. Un mouvement s’est déjà esquissé ces dernières années dans cette direction avec divers organismes publics rattachés directement au Premier Ministre : Secrétariat Général du Gouvernement, Secrétariat Général aux Affaires Européens, Secrétariat Général à la Défense et à la Sécurité Nationale, Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique,…

Il s’agit donc de consacrer, dans l’organisation gouvernementale, cette situation. Pour en faire un « super-Ministre », le Premier Ministre doit donc se voir rattacher un certain nombre de Ministres délégués ou de Secrétaires d’Etat, en plus du traditionnel Ministre délégué aux relations avec le Parlement qui lui est traditionnellement rattaché.

La réalisation du budget et de la répartition des crédits entre administrations est la question interministérielle par essence. Dans ces conditions, il est anormal que le Ministre du Budget soit rattaché au Ministre de l’Economie qui se retrouve en situation de juge et partie (consommateur de crédits budgétaires pour sa propre administration et en charge de répartir les crédits budgétaires). En créant un Ministère dédié des Comptes Publics, Nicolas Sarkozy a amorcé ce mouvement. Mais étant donné que c’est bien le Premier Ministre qui envoie les lettres de cadrage budgétaire à chacun de ses Ministres, il semble plus logique que le Ministre délégué au Budget soit rattaché au Premier Ministre. Dans ce contexte, la préparation des projets de loi de finances seraient sous la responsabilité partagée du Premier Ministre et du Ministre en charge de l’Economie.

Le rattachement des Affaires Européennes au Quai d’Orsay est un héritage de l’histoire qui se justifie de moins en moins. En effet, les affaires européennes sont de moins en moins des affaires étrangères et de plus en plus des affaires intérieures, qui ont un impact pour tous les Ministres et toutes les administrations. D’ailleurs, le Secrétariat Général aux Affaires Européennes (SGAE) est bien rattaché au Premier Ministre et non au Ministre des Affaires Etrangères. Dans ce contexte, il est là encore logique que le Ministre délégué aux Affaires Européennes soit placé sous l’autorité de Matignon.

La gestion de la fonction publique est un autre sujet éminemment interministériel, qui entretient par ailleurs des liens étroits avec la question du budget et celle de la réforme de l’Etat. Il est donc essentiel que ce sujet soit également dans l’escarcelle du Premier Ministre.

La réforme de l’État et la simplification administrative sont devenues une antienne de la vie politique française. Les deux dernières tentatives sont la RGPP sous la précédente majorité et aujourd’hui le Secrétariat Général à la Modernisation de l’Action Publique (SGMAP). La RGPP a pu montrer une certaine efficacité du fait d’une proximité avec le Ministère en charge du budget. Il y a donc du sens à rattacher budget et réforme de l’État auprès du PM et d’en faire le grand chantier du prochain gouvernement.

Qu’on ne se méprenne pas : la complexification administrative n’est pas un processus accidentel fruit de l’incurie des responsables politiques ou de la trop grande inventivité de l’administration. C’est un phénomène naturel dans un processus aussi complexe qu’est celui de la production de normes et de règles. Si la production de ces normes est un processus assez bien organisé (validation ministérielle et interministérielle, passage devant le Conseil d’État et d’autres commissions, …), celui de la suppression de normes contre-productives ou obsolètes ne l’est pas suffisamment. On ne peut pas fonctionner au coup par coup avec de grandes lois de simplification, il faut créer un processus permanent et organisé.

La création d’un Ministre délégué à la simplification administrative, rattaché au Premier Ministre, qui serait ainsi chargé de présenter chaque année, au même moment que son collègue du budget, une loi de simplification administrative qui aurait été préparée pendant l’année précédente, dans une logique pluri-annuelle prend ainsi tout son sens. Il pourrait s’appuyer pour cela sur les préfets de région et sur un rapport annuel de la commission consultative d’évaluation des normes. En effet cette dernière est aujourd’hui consultée dans le processus de production des normes (qui concerne les collectivités) mais pas dans le processus de suppression des normes.

L’organisation administrative territoriale et les relations avec les collectivités locales sont un autre domaine qui se situe au carrefour de la gestion interministérielle et de la réforme de l’action publique. Il est donc important, d’une part, que le Ministre délégué aux collectivités locales soit rattaché au Premier Ministre et non plus au Ministre de l’Intérieur et, d’autre part, que les Préfets de Région, deviennent de véritables Directeurs Régionaux de l’Administration, relevant directement de Matignon.

La RGPP a permis de nettes avancées en matière de rationalisation de l’administration territoriale, mais n’est pas allé au bout de la logique de la régionalisation. Si la région est un échelon discutable de la décentralisation, il est sans conteste l’échelon optimal de la déconcentration administrative.

Il est donc important que le Préfet de Région soit directement rattaché au Premier ministre et non plus au Ministre de l’Intérieur et n’appartienne plus nécessairement au corps préfectoral. Il ne serait plus Préfet du département-capitale de la région, ni préfet de zone (les préfets de département et de zone restant rattachés au Ministère de l’Intérieur).

Il aurait autorité sur plusieurs directions régionales disposant d’unités territoriales en département : la DREAL (environnement, aménagement, logement), la DIRECCTE (entreprises, consommation, concurrence, travail, emploi), la DRAAF (agriculture, alimentation, forêt), la DRAC (culture) et la DRJSCS (jeunesse, sport et cohésion sociale). Il aurait également autorité sur toutes les antennes régionales des agences publiques (ADEME, ARS, ANAH, ANRU,…).

Les Directions Départementales Interministérielles (DDT et DDCSPP) seraient fondues dans des unités territoriales des directions régionales précédemment citées, toutes regroupées dans une même cité administrative gérée par le secrétaire général de la préfecture. Ces unités territoriales ne dépendraient pas du Préfet de département mais participeraient au comité de direction départemental et pourraient être mises à disposition.

Une telle réforme d’ampleur redonnerait tout son sens au rôle du Premier Ministre sous la Vème République. En se voyant rattacher six Ministres délégués (relations avec le Parlement, budget, affaires européennes, fonction publique, simplification administrative et collectivités locales), il deviendrait bien un super-Ministre dont le chantier principal serait celui de la réforme de l’action publique (Etat et collectivités locales).

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