Tribune publiée dans Le Monde par Hervé Mariton

Egalité sans fraternité ne vaut

Nous sommes tous pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais que signifie l’égalité ? Quels sont les moyens d’y parvenir? Il y a aujourd’hui un gouffre entre la droite et la gauche: la controverse sur l’idéologie du genre en est l’illustration.

L’égalité est une valeur de la République que droite et gauche partagent. Mais déjà la gauche l’affirmera en premier quand, me définissant libéral et personnaliste je privilégierai la liberté et la fraternité. Et j’invoquerai plus volontiers la multiplication des opportunités, l’égalité des chances plutôt qu’une contrainte de résultats. Le résultat n’est pas indifférent mais je place plus d’espoir dans le progrès de la société que dans la règle des quotas. « La loi favorise la parité » dit la Constitution. Il vaudrait mieux que ce fût la société toute entière et y parvenir par l’éthique, le bons sens ou l’intérêt. Mais quelques règles peuvent être entendues, qu’assez logiquement la gauche imaginera toujours plus strictes.

Sauf que le mot égalité a aussi changé de sens. Dans un renversement extraordinairement puissant, la gauche a abandonné l’égalité exigeant le respect de la différence et exalte un individualisme amorphe plutôt qu’un rassemblement riche de ses membres. Les repères supposés de la gauche et de la droite se sont ainsi croisés : l’individu passe à gauche et la différence à droite. Mais l’individu de gauche n’est pas le même. Il est dans un univers relativiste, anormé, où le choix tout puissant l’emporte sur la liberté responsable. C’est toute la portée de l’idéologie du genre et de la volonté de toute puissance culturelle  qui libèrent des déterminants physiologiques. Cet homme nouveau doit nécessairement être formé dès le plus jeune âge et c’est l’introduction du genre, encore à une échelle expérimentale, à l’école. Il ne s’agit pas en réalité de lutter contre les stéréotypes. Qui aurait la curieuse idée de s’y opposer ! Mais de considérer que rien n’est naturel, comme ce rapport de l’Inspection des Affaires sociales sur l’égalité entre les filles et les garçons dans les modes d’accueil de la petite enfance (déc. 2012) qui s’émeut que ce soient plutôt des femmes qui travaillent dans les crèches : ce serait le résultat d’un stéréotype ! Comme si l’attribution des soins aux enfants en bas âge, dans les sociétés les plus diverses, ne comportait aucune origine naturelle dans la maternité et le lien particulier de la mère à l’enfant.

Ce qui pourrait paraître farfelu dans un échange technocratique devient insupportable lorsqu’on propose de l’expérimenter, comme l’exprime « l’ABCD de l’égalité », sur nos enfants. Et plus insupportable encore dans une époque où, sous l’effet de la crise et des mutations, notre peuple ne sera conquérant dans le vaste monde que s’il est rassuré dans l’intimité et la proximité de la famille. Dans la fraternité de la relation aux autres plutôt que dans l’arbitraire cédé à l’homme nouveau.

« Et les autres » exigeait l’abbé Pierre. L’autre a sa liberté et le refus de l’idéologie du genre est d’abord le rejet d’une immixtion illégitime du politique ou de l’institution dans un espace très intime de l’éducation des enfants. Les parents ont une responsabilité essentielle pour briser le plafond de verre qui limiterait la destinée d’une fille mais ils ne le délégueront pas à ceux qui proposent de lire « Papa porte une robe » ou de regarder Tomboy. Et n’est-ce pas déjà assez compliqué d’aider un enfant à se construire pour lui imposer (à lui et à ses parents) de telles œuvres. Elles peuvent légitimement interpeller l’adulte, elles ne peuvent pas éduquer l’enfant.

« L’autre », c’est la différence. Ce n’est pas une discrimination, c’est une réalité anthropologique. Cette réalité ne dispense pas d’offrir les plus grandes chances aux filles comme aux garçons ; elle ne postule pas qu’ils seraient identiques ou interchangeables. J’aime assez l’idée d’Alain Finkielkraut que nous serions sensibles, en France, aux dangers de l’idéologie du genre parce que nous aurions une culture de galanterie. Pourquoi diantre la galanterie serait-elle incompatible avec l’émancipation et la promotion de la femme ?

« L’autre » c’est la complémentarité. L’homme et la femme sont complémentaires. Ils sont aussi nécessaires pour faire un enfant. D’autres unions sont possibles mais elles ne font pas ordinairement d’enfants. Evidemment, l’ambition militante ou personnelle de faire un bébé toute seule échappe à l’idée de complémentarité et sollicite le soutien de l’idéologie du genre.

Que dire aussi de ce refus de la complémentarité qui s’exprime dans le rejet de la conjugalité constatée dans le foyer fiscal et la proposition de l’individualisation de l’impôt. Ou de la proposition de supprimer la pension de réversion au motif que l’un ne devrait rien devoir à l’autre. Ce n’est pas ma vision de la société.

L’idéologie du genre n’a pas envahi la France. Mais la transformation de la gauche, la perte de ses repères dans la société la rendent plus friable à ceux qui, soit pour satisfaire une cause militante, soit par ambition de changer le monde, portent cette idée. Alors, il est normal que des Français, nombreux, s’opposent et il est utile que la droite propose un projet pour la famille plus délicat, plus fraternel, plus optimiste.

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